AnalysesInterview

Ô Solo Duo Mio !

En binôme ou en Solo ? La ligne de démarcation « vrai swimrun » fait toujours débat au sein de la communauté française. À l’heure où les organisateurs du circuit ÖtillÖ viennent d’annoncer l’ouverture des inscriptions de solos sur la distance reine des « World Series », de nombreux swimrunners restent dubitatifs d’un tel changement. Quelle pourrait être l’influence de coureurs solitaires sur l’un des marqueurs culturel de ce sport : l’entraide entre coéquipier.

Florian Schäfer*, excellent triathlète, heureux coach d’athlètes, a vécu sur une période de 12 mois la manche de coupe du monde Engadin 2020 en binôme avec Lucas Maréchet (ils sont d’ailleurs qualifiés pour les mondiaux ÖtillÖ 2021), et la manche de coupe du monde Engadin 2021 cette fois ci en Solo. Il finit devant toute la concurrence des solos …et des duos !

C’est une occasion en or pour Swimrun France d’éclairer, de comparer les expériences d’une course en couple ou bien solitaire. Les déterminants de l’un ou l’autre sont peut être plus proches que l’on ne s’imagine ?

Swimrun France: Bonjour Florian, peux tu te présenter en quelques lignes ?
Florian Schäfer: Bonjour Jean-Marie, Concernant mon parcours sportif, j’ai découvert le triathlon à l’âge de 14 ans après des débuts en club de natation à l’âge de 6 ans. Depuis, la passion des disciplines enchaînées ne m’a jamais lâché. J’ai arrêté la pratique du vélo et donc du triathlon car trop « chronophage » depuis la création de mon entreprise pour me focaliser sur la natation et la course à pied. Je me suis donc progressivement orienté vers l’aquathlon et ensuite le swimrun.

J’adore varier de disciplines, et intègre régulièrement des trails, de l’eau libre, des courses sur route… à mon calendrier pour casser la monotonie. Pour en revenir à mon parcours professionnel, je gère actuellement une entreprise spécialisée en préparation physique, préparation mentale et nutrition, après avoir boucler un cursus universitaire dans le domaine du sport et de la santé (M2 Recherche en physiologie de l’exercice, M1 Préparation physique et mentale, DU Nutrition et Micronutrition). Je propose aujourd’hui diverses prestations afin d’optimiser la performance dans les sports d’endurance, mais aussi des prestations de remise en forme /« réathlétisation » pour les sujets sédentaires : plans d’entraînements à distance, coaching « de terrain », bilans nutritionnels…

SRF : Comment as tu connu le swimrun ?
FS :J’ai vu passer des infos internet sur « Otillo » il y’a quelques années. Puis quelques vidéos.

SRF : À la suite de ta qualification pour les mondiaux ÖtillÖ 2021 (Ndlr 6 septembre, Stockholm) avec ton binôme, pourquoi avoir choisi de revenir sur la toute nouvelle formule Solo ?
FS :Je suis revenu ici, à Engadin car j’avais adoré l’épreuve en 2020 en duo. Le site magnifique, un format de course en binôme que je ne connaissais pas, une course difficile et exigeante, un binôme au top… Tout avait été réuni pour que j’en garde un super souvenir. Cette année, Lucas n’étant pas dispo, je ne pensais pas pouvoir revenir. Puis la donne à changé quand j’ai vu l’ouverture « au solo »…

Même si l’épreuve n’était pas du tout prévue dans mon calendrier de préparation, je n’ai pas pu résister au fait de revenir. Revenir pour
évoluer à nouveau dans ce cadre idyllique, revenir pour comparer la pratique solo et duo, revenir pour me faire une bonne journée de prépa pour la finale de septembre.

SRF : Les solos courraient avec un chasuble jaune reconnaissable. Très peu nombreux (5 ou 6). Comment avez vous été accueillis avant le départ par le peloton international ?
FS : Pour être honnête, je n’ai pas trop réfléchi à comment allait être l’accueil des solo par le peloton « d’équipes ». Quand je suis arrivé sur la zone de départ, je n’ai senti aucune animosité. J’ai fait mon échauffement, j’ai discuté avec 2 ou 3 équipes et le départ à été
lancé… Je n’ai pas ressenti de différences avec d’autres participations sur d’autres épreuves.

SRF : Comment s’est passée ta course ?
FS : Super ! Un début de course assez poussif, puis le diesel s’est mis en route…
(ndlr, voir son compte rendu bien détaillé là 👉🧭 https://www.facebook.com/florian.schafer.54/posts/4510462635654031)

SRF : Tu n’as jamais vraiment quitté la tête de course, il y avait il une vraie lutte entre toi et les binômes, ou bien ces derniers étaient dans leur propre course afin de prendre les derniers slots pour les championnats du monde de septembre ?
FS : Franchement je ne sais pas trop, car au final, sur les 5 heures et quelques minutes de course, nous sommes très peu restés ensemble, sauf du départ jusqu’à la redescente du premier col. Ça monte, et ça descend fort, et le terrain n’offre pas trop d’occasion de discuter. Puis quelques minutes lors de l’ascension du dernier col, et là, idem.
On était tous bien « secs », l’heure n’étais pas trop celle des grands discours lol ! De plus, Le team Gravelines – Head (Rémi Mariette et Guillaume Henneman) avec qui j’ai passé quelques moments avaient déjà leur slot pour la finale.

Ce qui est sûr, c’est que mon côté, j’étais aussi venu pour jauger mon niveau par rapport aux meilleurs binômes. Donc oui, une fois en tête de course, j’ai tout fait pour rester devant, peu importe si j’étais poursuivi par des équipes ou des « solo ».

SRF : Visiblement ton entrainement pour les mondiaux ÖtillÖ a été fructueux, si tu bosses le duo, tu es, par ricochet, performant en Solo ? Quelles sont les différences notables entre les éditions 2021 et 2020

FS : Quand tu es performant en solo, cela est toujours une plue-value pour la pratique en duo, et vice-versa. Donc, je fais le job du mieux possible. Pour le moment, je suis satisfait du travail fait en course à pied, car j’ai assez peu d’expérience sur des formats « très longs ».
Par contre mon niveau natation est assez loin de ce qu’il a pu être… J’ai encore du pain sur la planche ! Les différences entre 2020 et 2021 ont été nombreuses. En 2020, j’étais en duo et plutôt en position de « force ». Donc, la course a été beaucoup plus « confortable » pour moi. Cette année, j’étais seul, je me suis retrouvé assez vite devant et je ne voulais pas lâcher la place.

La course a donc été beaucoup intense, beaucoup plus « stressante ». La dynamique de course était totalement différente. Cette année je jouais la gagne, l’an dernier, nous étions là en mode « découverte ». Idem au niveau de la communication. Cette année, j’étais seul avec moi même. Pas d’échanges liés à la stratégie, ou à la gestion de course.

Mais honnêtement, cela ne me dérange pas. J’aime les longs moments d’introspection que l’on peut vivre sur ce type d’épreuves…
Pour la sécurité, je n’ai jamais eu le sentiment d’être en danger. J’ai trouvé l’eau plus froide, peut être car j’avais pris l’option combinaison « manche courte », et j’ai donc souffert du froid, chose que je n’avais pas connu en 2020.

J’ai trouvé les températures extérieures plus chaudes. J’ai donc ressenti un différentiel plus important entre « course à pied et natation ». Plus chaud en dehors de l’eau et plus froid dans l’eau. Il m’a semblé que les différences étaient plus marquées, d’où peut être cette impression de vivre une course plus dure.

Pour les transitions et l’orientation, à l’évidence c’est plus simple tout seul. Tu n’as que toi à gérer, ce qui limite drastiquement les erreurs. Il n’y a pas de longe à installer, ça aussi, c’est « confort ».

SRF : L’arrivée de tes 2 éditions ne sont pas trop comparables (meilleur temps scratch en 2021, qualif mondiaux en duo en 2020), quels étaient tes sentiments dans les deux cas de figures?
FS : J’ai adoré les 2 éditions, pour des raisons totalement différentes. 2020, c’était la découverte, à la fois du circuit Otillo, du parcours, et de mon binôme que je ne connaissais presque pas. Lucas a pris la place de mon binôme initial, Arnaud, blessé.

Franchement, comme on se le dit maintenant, on était là en « touriste sédentaire » lol. « Touriste » car on savait que l’on ne jouerai ni la gagne ni un podium. Et « sédentaire » car au niveau entraînement, on était quand même un peu à la rue ! Lucas avec quelques kg
de plus (ahaha, je place ça là en espérant qu’il tombe sur cet interview lol), et moi je revenais de blessure. Et je tiens à préciser que notre qualif a été obtenue sur dossier, pas sur l’épreuve d’Engadin.

On a fait un peu d’humour dans notre requête et apparement les suédois ont apprécié ! ^^ En somme, notre arrivée 2020 en duo, j’ai trouvé ça « fun », heureux d’être là et d’avoir partagé ce moment, peu importe le résultat. 2021, c’était une année où l’objectif est de faire une prépa la plus aboutie possible en vue de la finale. Comme on a un peu l’impression d’avoir « volé » notre slot, on bosse pour se prouver le contraire.
Du coup, c’est évident que l’état d’esprit au départ en 2021 était totalement différent de 2020. L’heure n’était plus à la découverte, mais à la performance. Je venais pour me tester, pour performer. Le résultat allait être une composante importante du fait d’être satisfait ou pas de ma presta.

SRF : Quels conseils donnerais tu à celles et ceux qui veulent s’essayer sur le Solo distance « world series » ?
FS : De se lancer ! L’aventure est aussi belle et riche en duo qu’en solo, pour des raisons différentes. Tout dépend du caractère et des objectifs de chacun.

SRF : Que répondrais tu aux swimrunners qui estimeraient que le Solo n’est pas vraiment
du swimrun ?
FS : Je pense que le sport est un fait social. Il peut (et parfois il doit !) évoluer avec le temps. Prenons l’exemple du triathlon. Le triathlon est né à Hawaï sur le format Ironman. Si il n’avait pas évolué, il serait cantonné aujourd’hui à ce même format, pour un seul type de
“population”, à savoir des athlètes ultra entraînés capables d’enchainer des heures d’effort… Heureusement qu’il a évolué ! Aujourd’hui, le type de pratiquants est très diversifié, allant des enfants aux « ironmans ». Les formats de course sont très variés, allant du format « avenir » au format IM et plus. Tout le monde y trouve son compte.
Il existe plusieurs pratiques « triathlon » : la pratique « éducative / scolaire » répondant à une logique d’éducation, la pratique récréative / « fun » un peu dans l’esprit des sports californiens, la pratique compétitive amateur répondant à une logique de performance, la pratique élite avec les JO et WTS…
Et si l’on fait une analogie le swimrun, on peut apporter les mêmes arguments. La pratique solo n’est pas forcément obligé de s’opposer à la pratique duo. Oui, la philosophie du swimrun est initialement orientée vers le duo. Maintenant, si il y’a de la demande pour le solo, alors pourquoi ne pas ouvrir à ce type de pratique ? A l’évidence, en mode « solo » on perd le versant «entraide et collaboration », mais de mon avis, cela reste du swimrun, pratiqué différemment.

Je ne pense pas que l’ouverture aux individuels menace la pratique en binôme. Je pense que la variété apportée par ce nouveau format permettra à des athlètes qui n’avaient pas forcément trouvé « chaussure à leurs pied » de prendre part à l’aventure.

SRF : Il y a t-il une question que tu aurais voulu que je te pose ?
FS : Non, pas forcément. Par contre, si tu as encore une question à me poser, je me ferai un plaisir d’y répondre:-)

SRF : Merci Florian, je remets ici la discusion du 12 juillet 2021 que j’ai eu avec Mats et Michael juste après la manche d’Engadin. Nous abordons la l’intégration du Solo sur les manches de coupe du monde (ndlr, les solos étaient déjà présents sur les distances sprint et expérience depuis deux ans déjà).

*J’ai (Ndlr. Akuna) croisé Florian dans les années 90, lorsqu’encore adolescent, il a débuté le triathlon dans mon club d’Oyonnax.