Enchainement swimrun inédit dans les Calanques
Au milieu de l’été, un trio de swimrunners, Gilles, David et Akuna (alias Jean Marie), met à profit une connaissance du terrain optimale pour enchainer une combinaison originale: une apnée via siphon suivie d’une escalade (voie « prends moi sec au dessus du lagon bleu »). Gilles et David se livrent au jeu de l’interview (par Akunamatata de Swimrun France). Ils reviennent sur la genèse d’une branche, en devenir, cousine du swimrun: le swimrunclimb, l’alpi swimrun, le swimrungoat ?
Swimrun France: Bonjour Gilles, Denis, pouvez vous me résumer en quelques lignes votre histoire avec le Swimrun ?
David Denis: À L’été 2015, je faisais découvrir les secteurs de deep water (escalade au dessus de l’eau) sur la Ciotat à mon ami Vincent Delebarre dans une approche déjà inédite de course nage et grimpe.
Vincent m’apprenait que ce que nous faisions était en quelques sortes du swimrun et m’a conseillé de me rapprocher de Jean Marie Gueye alias Akuna.
À cette époque, je ne nageais pas vraiment et j’avais beaucoup de difficulté à tenir le crawl. J’étais surtout passionné de trail et d’escalade que je combinais dans une approche minimaliste (alpi-running). J’avais en tête un projet depuis des années, qui était de rallier la Ciotat à Cassis en longeant le bord de la côte. Le swimrun devenait le moyen évident pour réaliser cela.
Gilles Bernard: Je n’ai jamais fait de swimrun mais je pratique le triathlon depuis 10 ans, la seule expérience similaire que j’ai eue c’est lors de ma préparation pour l’embrunman en 2014. C’était à Sormiou en allant nager jusqu’à un lieu dit de « Rumpe cuou» il y a une falaise et un copain m’attendait dans le but de grimper une falaise de 100 mètres. Arrivé en haut, il m’a redescendu et je suis rentré à la nage, cela m’a fait 4000 m de nage et 100 mètres d’escalade. J’ai trouvé cela hyper ludique. Sinon à la base je suis grimpeur et j’ai pratiqué aussi la chasse sous marine. Plus tard je me suis mis au triathlon pour partager des moments avec mes enfants qui pratiquent cette discipline. J’adore l’endurance…
SRF: Quelle est votre relation avec les calanques ?
DD: En réalité, les Calanques ont été le “leitmotiv” de mon installation dans la région il y a une dizaine d’années. Je n’y étais jamais venu et pourtant, je m’y sentais déjà attiré comme par un aimant.
Depuis, je n’ai cessé de les découvrir et de les re-découvrir notamment grâce aux possibilités qu’offre le swimrun.
GB: je suis né aux portes des Calanques dans la calanque de Samena. A 11 ans mon frère André m’a fait découvrir la grimpe à la Candelle. Très rapidement, j’ai beaucoup ouvert d’itinéraire d’escalade et je me suis énormément investi dans ce milieu. En 1992 j’ai co-écrit le topo d’escalade des Calanques avec des amis et cette aventure continue encore maintenant avec la quatrième édition. Ces livres, édités par la fédération, ont permis d’entretenir et de sécuriser les voies d’escalade, ils ont aussi permis de sensibiliser les grimpeurs aux enjeux écologiques. Les Calanques c’est notre jardin on est né et on a grandi grâce à elles. Pour ma part, c’est une partie très importante de mon existence.
Esprit swimrun et l’escalade
SRF: Le swimrun c’est d’aller d’un point A à un point B, en équipe à travers la nature (voir l’histoire du swimrun là), comment vous est venue l’idée de cette sortie originale ?
DD: Il y a pour moi un gros point commun entre le swimrun et l’escalade, c’est “l’esprit de cordée”. À partir de là, le champ des possibles s’ouvre et les idées ne manquent pas.
Il y a un an, nous nous sommes testés sur l’arête de l’extrême bec à Sormiou. Une approche dans le pure esprit swimrun et une ascension dans le pure esprit “montagne” en corde tendue.
À partir de là, j’ai compris qu’une nouvelle variante de l’escalade allait naître.
L’idée première partagée avec Jean-marie était de réunir les pratiquants de diverses disciplines afin de potentialiser la cordée (le groupe).. Le fameux 1 + 1 = 3 ????
Dans la pratique, cela reste compliqué mais nous nous en approchons..
J’ai découvert la porte de Rome et son passage “secret” sous marin il y a peu de temps et il m’est apparu comme évident qu’il fallait revenir pour gravir la voie de l’aven par cette approche !
Sans vraiment se concerter, Jean-marie commença à réfléchir à un parcours à la fois esthétique et logique et il m’en a fait part.
Pour réaliser ce défi, il nous manquait une troisième personne et j’ai spontanément pensé à Gilles (que nous n’avions jamais rencontré soit dit en passant). (rire)
GB: Avec mon approche des sports enchaînés et mes acquis en escalade, cela devenait depuis 2014 une évidence pour s’entraîner de façon ludique de varier la routine. Mais je raisonnais comme un grimpeur qui veut aller à sa falaise à pieds sauf que j’y allais à la nage. Mais pour enchaîner, il me manquait la manière d’être autonome et de transporter le minimum de matériel spécifique à l’escalade.. Quand j’ai vu cette bande de « fadas » swimrunner sur Facebook et que j’ai découvert leur matériel, l’idée d’enchaînements de swimclimb est devenu une évidence, j’ai de suite écrit sur des papiers mes idées d’enchaînement. L’idée de cette sortie vient d’Akunamatata, il m’a proposé cette sortie avec au milieu l’aven du Cancéou que je connais bien par la terre mais pas par la mer, j’ai été séduit…Merci à eux
À quels risques faisons nous face ?
SRF: Ça l’air facile de vous voir enchainer voies d’escalade, trail et nage en mer, il y a t-il des précautions à prendre pour vouloir vous suivre ?
DD: Au delà d’une certaine résistance physique exigée. La qualité première est d’être “adaptogène”, c’est l’essence du swimrun et de l’alpinisme. C’est savoir gérer son effort, sa ressource physique, nerveuse et mentale car dans les éléments, tout peut basculer et il faut s’y préparer.
Néanmoins, ce qui est selon moi fondamental, c’est l’unité dans la cordée. Aussi, l’ego de chacun doit être mis au service du groupe. Je préfère largement mener un novice, à l’énergie positive, plutôt qu’un athlète qui ne prend pas en compte cette notion.
GB: J’avoue être débutant en swimrun et les compétences de mes compagnons ont été précieuses. En une sortie on bénéficie de la sécurité que leur expérience leur a donnée en plusieurs années. La partie escalade se greffe à cela, il y a juste cette transition qu’il faut appréhender, la partie vestimentaire est aussi à gérer. En escalade on est plus statique que dans les deux autres disciplines et un léger vent sur une combinaison mouillée peut être problématique. Au niveau respect de l’environnement ma pratique des accès en escalade et mon implication au niveau fédéral m’ont sensibilisé sur les problèmes d’accès et de piétinement. Il faudra si cette activité se développe privilégier les accès sans éboulis et sans trottoir à Lithophyllum afin de respecter la flore et il faudra aussi que les pratiquants de cette nouvelle disciplines respectent les contraintes d’usages des grimpeurs négociés avec le parc national.
SRF: En quoi l’addition de plusieurs sports mature donne une autre dimension à votre enchainement ?
DD: Déjà, il faut savoir évoluer dans chaque discipline dans son approche la plus minimaliste qui soit. Le maître mot c’est d’aller vite mais bien.
Et pour se faire, savoir choisir le matériel nécessaire sans se surcharger. Par exemple si vous savez qu’il y a un passage de siphon obligatoire en apnée il va falloir oublier le pull buoy ! (petit clin d’œil à Jean-marie qui est justement venu tester son monstrueux pull buoy sur cette sortie) et en même temps être capable de faire face à l’imprévu donc il faut un juste milieu.
En escalade, on privilégiera l’évolution en corde tendue dans les sections faciles. Tout dépend de l’homogénéité de la cordée, il faut sans cesse s’adapter.
GB: Cela ouvre des perspectives géniales pour les pratiquants de sports enchaînés et les passionnés d’escalade. La mer ne devient plus un obstacle mais un support de jeu pour la partie « swim ». Les distances d’accès horaires aux falaises sont complètement bouleversées. Ceci étant les prétendants à cette discipline ne sont pas encore nombreux. Il me semble que le potentiel de pratiquants se trouve plus dans les swimrunner qui devront se familiariser avec l’escalade que dans les grimpeurs qui en général n’apprécient guère l’endurance.
SRF: Quel a été le point le plus incroyable lors de cette sortie ?
DD: La traversée du Cap Morgiou en “swim-climb” déjà car ça faisait longtemps que j’avais envie d’y aller. C’était un bon repérage et j’y retournerai sûrement.
Et ensuite (et surtout !) l’approche de cette voie par la mer a été surexcitante ! 1000m de “nage d’approche” depuis la calanque de la Triperie. Le passage du siphon fut rocambolesque ! Pas si évident d’y passer 3 sacs étanches et un pull buoy ! J’ai cru judicieux d’accrocher les 3 sacs mais nous aurions dû les passer un à un.. On le saura pour la prochaine fois.
Mais quelle satisfaction d’arriver au pied de cette voie dans ces conditions là !
GB: Pour moi chasseur sous marin d’origine, je pensais vraiment être à l’aise dans toute les disciplines. Mais le siphon m’a effrayé, car avec la combi on est comme un bouchon qui ne veut pas quitter la surface et partir à l’inconnu vers le sombre n’est vraiment pas rassurant. Mais comme toute chose, on m’a guidé et quand on l’a fait une fois…
SRF: J’ai l’impression que vous êtes très complémentaires, et que l’équipe ensemble est plus que la somme des compétences ?
DD: C’était relativement osé d’avoir proposé ça à Gilles alors qu’il n’avait jamais fait de swimrun et que nous ne nous connaissions pas.
En fait, un jour je suis tombé par hasard sur son profil Facebook et j’ai compris qu’il faisait du triathlon. Sa réputation dans le milieu de l’escalade n’est plus à faire, et il m’est paru évident qu’il devait goûter aux joies du swimrun dans les calanques ! (rire).
Sans compter qu’il pouvait être un maillon essentiel pour concrétiser notre souhait avec Akuna.
Au final, tout s’est déroulé au delà de nos espérances.
GB: La complémentarité est une richesse dans le trio et j’ai pu vraiment profiter de l’expérience de mes camarades sur la spécificité du swimrun. Ma connaissance des falaises et des accès a certainement apporté une sérénité dans ce terrain.
Un nouveau type de swimrun ?
SRF: Comment appelez vous cette « branche » du swimrun, alpi swimrun, swimrunclimb ? ou bien est ce encore trop tôt pour définir un nom ?
DD: Le swimrun étant déjà une combinaison de deux disciplines cela complique un peu les choses.. Personnellement, j’ai une petite préférence pour “Alpi-Swimrun”.
J’aime bien Swimclimb aussi… mais on “run” un peu quand même ! ???? On devrait peut-être demander aux suédois ce qu’ils en pensent ? ????
GB: Tout m’ira mais c’est vrai que je n’aime pas particulièrement l’anglais, il faut reconnaitre que « nagercourir » cela sonne quand même moins bien que « swimrun » alors autant rester avec la langue de Shakespeare … swimrunclimb c’est bien, swimrungoat c’est super aussi
Le futur
SRF: Vous devez avoir des projets de parcours plein la tête ? Y voyez vous le départ d’un sport en devenir ?
DD: Cette approche m’inspire notamment pour aller chercher des voies d’escalade devenues isolées depuis la fermeture du parking de la Gardiole dans les calanques, au cirque du Devenson particulièrement.
Pourquoi pas partir de Cassis, descendre à l’Eissadon et nager jusqu’en bas des voies ? (si l’état de la mer le permet bien entendu) .
Disons qu’au delà de l’aspect “pratique” cela rajoute du cachet à cette escalade “calanquesque” déjà si particulière et si l’on combine avec du Deep Water (escalade solo au dessus de l’eau) c’est le pompon !
J’espère que nous allons ouvrir la voie mais cela restera très marginal avant longtemps selon moi. Premièrement, parce que le grimpeur n’aime pas courir. Deuxièmement, il n’aime pas nager non plus ! (rire).
GB: Oui des projets pleins la tête cela permet à 55 ans de rester jeune et du coup je vais intégrer une séance de grimpe par semaine, afin d’avoir le niveau de réaliser des projets dont le niveau peut aller jusqu’à 6c voire 7a en escalade. Vu que les trois prochaines années normalement je vais encore faire des Ironmans, ce sera un super moyen pour varier les entraînements en s’amusant, et d’intégrer l’escalade au menu…. Car évidement l’objectif est … de s’amuser.
SRF: Il y aurait il une question que vous auriez aimé que je vous pose ?
DD: Est-ce que le Swimrunner aimera grimper ? Blague à part, il serait judicieux que pour la prochaine édition du topo des Calanques Gilles fasse mention des accès maritimes éventuels ! (rire)
GB: Peut être une question sur le respect de l’environnement mais je l’ai un peu abordé dans la problématique des accès. C’est une dimension qui manque énormément aux pratiquants du « trail » mais que nous grimpeurs et randonneurs, avons traité depuis plus de 20 ans. Le parc national pour régler ces problèmes supprime les sentiers sur la carte et enlève les balises sur le terrain. L’émergence de ces nouvelles pratiques à coté d’une ville de 2 millions d’habitants et avec plus de 1 million de visiteurs par an doit être géré par l’information et l’éducation plus que par l’interdiction et la suppression d’itinéraires ancestraux. Actuellement sur le terrain cela donne une pagaille terrible et tout le monde va partout. Apparemment les usagers avertis n’ont pas la même vision que l’administration du PNC.
Bonjour,
Et comment est géré le matos d’escalade pendant la phase swim (et run aussi) ? Cordes, baudrier, chaussons, casque, dégaines… Ça me paraît uniquement envisageable en deepwater cette histoire. Des détails ?
Bonne question. Nous prenons toujours un sac / bouée étanche premièrement pour la sécurité en mer, mais aussi pour emporter le matos. Il faut quand même bien réfléchir et faire dans le minimalisme et bien partager et discuter entre les différents membres du groupe. Le type de matos est important pour limiter le poids et l’encombrement. Les transitions sont un peu plus longues mais la vitesse n’est pas le but ultime de ce type de sortie
Bonjour, nous utilisons des sacs étanches comme on peut le voir dans la vidéo. C’est en mode pionnier, beaucoup de matériel à développer. Cordialement.