Edito

Entre Maîtrise et Passion, l’Art des Swimrunners

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🇫🇷 Imaginez ces fous. Ces deux joyeux lurons forment des duos improbables, deux swimrunners, nous préparant pour les championnats du monde de l’ÖtillÖ 2015. Nous nous élançons sur les sentiers de poudingue rocailleux de la Calanque de Figuerolles. Sans réfléchir, nous sautons alors dans les eaux démontées, houleuses. Notre but ? S’entraîner à escalader depuis la mer des rochers battus par une houle dangereuse. Entre chaque vague, nous comptons les secondes avec attention. Pourquoi ? Pour connaître le laps de temps crucial. Celui qui nous permettra de s’accrocher fermement. De franchir les précieux mètres nous séparant d’un péril certain. Éviter ainsi l’écrasement funeste de la vague suivante. Si l’un d’entre nous loupe une prise de main, ou met une seconde de trop pour se hisser lors de l’accostage. Il lui faudra tout lâcher et tenter de nouveau avec la prochaine vague sous peine de se faire éclater sur la paroi rocheuse.

À nous voir défier les éléments avec tant de désinvolture, on nous prendrait pour des saltimbanques. Des saltimbanques ivres, amoureux du chaos naturel ! Pourtant, Schiller analysait ceci : “Il y a en chaque être humain quelque chose qui persiste. Et quelque chose qui change continuellement.” Sous ces airs désinvoltes se cachent des athlètes d’une discipline de fer. Face aux caprices de la nature, les swimrunners cultivent deux instincts contradictoires.

D’un côté, l’instinct sensible les pousse à “réclamer du changement”, cette soif intarissable d’expériences au plus près des éléments déchaînés : torrents rugissants, falaises à pic, vagues menaçantes. De l’autre, leur instinct formel leur permet de “prendre appui sur l’unité et la stabilité” grâce à un entraînement rigoureux pour développer endurance, agilité et sens de l’orientation.

Car comme le note Schiller, ces deux pulsions se nourrissent mutuellement : “L’homme impose sa compréhension et sa forme d’autant plus qu’il a laissé vagabonder son instinct sensible.” Ainsi, plus le swimrunner aura discipliné son corps et son esprit, mieux il embrassera avec légèreté les désordres de la nature !

On les a vus par petites foulées gracieuses sur les crêtes tourmentées, avant de se jeter à la renverse tel le plongeur de Paestum dans les criques turquoise (enfin, quand ils ne se vautrent pas lamentablement sur les rochers, hat !). Vision d’Épinal pour photographe de Géo Aventure. Mais combien de nuits glaciales passées à cartographier leur prochain périple, à lacer et relacer leurs chaussures aux premiers rayons de l’aurore ?

Car les swimrunners sont les dépositaires d’un subtil entre-deux, d’un savant dosage entre instincts contradictoires. Trop d’abandon aux passions du moment, et ils se perdraient, dissous dans l’ivresse des flots. Mais également, trop de raison formelle, et ils s’assècheraient, vidés de leur sève vitale.

Il est une réalité pourtant, qu’avec l’âge venant, la raison formelle prend souvent le dessus. Le swimrunner vieillissant mettra de plus en plus la pédale douce, se méfiera des risques insensés, aura l’œil chaque année un peu plus rivé sur la dérive de son chronomètre. Et un beau jour, sa volonté de tout contrôler, de tout ordonner l’aura consumé – tel un caillou sur une grève, sans autre vie que d’être là.

Alors ô swimrunners, avant que votre raison n’ait trop étendu son empire, continuez à vous ébattre dans le désordre de ces beaux paysages mais aussi parfois féroces ! Lâchez la bride à votre instinct de remuants, et que votre jeunesse de cœur dure au moins aussi longtemps que vos épaules en carbone et fibre d’actine !

✍️Akuna 🧬 relecture Claude-Sonnet
📷 ideogram

🇬🇧Between Mastery and Letting Go, the Art of Swimrunners

Imagine these madmen. These two jolly fellows form unlikely duos. Swimrunners preparing for the 2015 ÖtillÖ World Championships. They set off on the rocky trails of Figuerolles. Without a second thought, they plunge into the churning, turbulent waters. Their goal? To train for scaling sea-battered rocks amidst treacherous waves. Between each swell, they count the seconds carefully. Why? To know the crucial time window. The one that will allow them to firmly grasp and cross those precious meters separating them from certain peril. To avoid the deadly crash of the next wave. If one of them misses a handhold, or takes a split second too long to heave themselves up during the landing, they’ll have to let go and try again with the next wave.

Watching us defy the elements with such nonchalance, you’d think we were drunken acrobats, enamored with nature’s chaos! Yet, as Schiller analyzed: “There is something in every human being that persists, and something that continually changes.” Beneath these carefree airs lie athletes of iron discipline. Facing nature’s whims, swimrunners cultivate two contradictory instincts.

On one hand, the sensual instinct spurs them to “demand change”, an unquenchable thirst for experiences amid raging elements: roaring torrents, sheer cliffs, menacing waves. On the other, their formal instinct allows them to “rely on unity and stability” through rigorous training to develop endurance, agility, and a sense of direction.

For as Schiller noted, these two drives nourish each other: “The more a person has indulged their sensual instinct, the more they impose their understanding and form.” Thus, the more the swimrunner has disciplined body and mind, the more lightly they’ll embrace nature’s disorders!

We’ve seen them in graceful strides along the troubled ridges, before plunging backwards like Paestum’s diver into turquoise coves (well, when they don’t flop miserably onto the rocks, that is!). A picture-perfect scene for a Géo Aventure photographer. But how many freezing nights spent mapping their next trek, lacing and relacing their shoes by the first rays of dawn?

For swimrunners are the keepers of a subtle in-between, a deft dosage of contradictory instincts. Too much abandon to the passions of the moment, and they’d lose themselves, dissolved in the intoxication of the currents. But too much formal reason, and they’d dry up, drained of their vital sap.

Yet the reality is, as age encroaches, formal reason often gains the upper hand. The aging swimrunner will increasingly take it easy, wary of senseless risks, their eye fixed a little more each year on the drift of their chronometer. And one fine day, their will to control and order everything will have consumed them – like a pebble on the shore, with no other life than simply being there.

So, O swimrunners, before your reason has extended its sway too far, keep reveling in the disarray of these beautiful yet sometimes fierce landscapes! Give free rein to your restless instinct, and may your youthful hearts last at least as long as iron calves !