Compte-rendu de courseCourses

Les championnats du monde ÖtillÖ 2023, des émotions indescriptibles

Lundi 4 septembre 2023 a eu lieu les championnats du monde de swimrun ÖtillÖ au sein d’un archipel de Stockholm en Suède baigné d’une température inhabituellement élevée pour la saison. Les bretons Matthieu Kerleroux et Benoit Ferry forment un binôme attrayant. L’un swimrunner aguerri, plusieurs coupes du monde dans sa besace et un championnat du monde bouclé l’an dernier, l’autre avec un profil de nageur émérite. Un duo où chacun apportait sa force et sa finesse somme toute qui, s’il potentialise les synergies, peut aller très loin et très vite. L’aventure peut ainsi commencer sous la plume agile de Matthieu ✍️👇

2023-09-03 Shooting Djuronaset Photo Nations

ÖTILLÖ. Un mot aux consonances scandinaves qui résonne aujourd’hui de manière sacralisée comme l’antre d’une cathédrale millénaire abreuvant quelque chose d’irrationnel et hors du temps. Ce n’est rien d’autre que les championnats du monde de swimrun !
La discipline est née ici, en Suède, et plus spécifiquement au large de l’archipel de Stockholm en 2006. C’était juste hier dans l’histoire du sport mais la légende ÖtillÖ s’est construite incroyablement vite et est devenu aujourd’hui “le must” de la discipline.
A peine le pied posé au sol dans la capitale nordique, le visiteur est immédiatement saisi par les panneaux publicitaires sur lesquels une banque nationale met en évidence notre sport et les valeurs qui cristallisent la discipline : liberté, courage, esprit d’équipe, humilité, abnégation, cohésion, résilience, dépassement de soi…

Les changements de gouvernance de ces derniers mois, marqués par les départs soudains et impromptus de Mats Skott et Michael Lemmel, ont ébranlé nombre de pratiquants, qui, légitimement, s’interrogent sur les orientations prises par notre sport.
Lors du briefing de course sur Djurönäset, la veille de course, les nouveaux propriétaires de la marque ÖtillÖ présentent donc les projets futurs et notamment les partenariats outre-Atlantique. Pour l’heure, les 320 athlètes qualifiés pour l’édition 2023 d’ÖtillÖ attendent impatiemment, avec angoisse ou excitation, de relever l’aventure hors norme qui s’offre à eux.

Parmi les 160 équipes qualifiées, le binôme des Swimrunners Du Far Ouest (SRFO), composé par Benoit Ferry et moi-même. On ne se connaît pas très bien car nous avons davantage couru avec nos partenaires respectifs sur des courses locales. Benoit est un très bon swimrunner, excellent nageur et compétiteur dans l’âme. Il rêvait de vivre l’aventure ÖtillÖ; je suis heureux de pouvoir lui offrir cette opportunité suite à l’indisponibilité d’Arnaud Hairie avec qui j’ai obtenu cette qualification en juin dernier lors d’Utö (Suède).
Quel plaisir de retrouver les autres concurrents, pour certains des copains, tous ou presque des passionnés de sport extrême et de swimrun en particulier. Une vingtaine de nationalités différentes est ainsi présente sur cette édition ÖtillÖ 2023.

Le réveil: île 3h15

Après une nuit courte (c’est à peu près à partir de 17327 moutons qu’on arrive enfin à tomber dans les bras de Morphée) et peu réparatrice, le réveil sonne enfin : il est 3h15 du matin. Nous prenons le petit déjeuner dans le grand hall de l’hôtel en compagnie des autres athlètes presque tous revêtus de néoprène. Le défilé des guerriers sans armes vers le bateau permettant d’atteindre l’île de Sandhamn est un moment extraordinairement solennelle accentué par les danses des bougies qui délimitent le chemin. Les premiers rayons de soleil de la journée sont là pour nous accueillir dans un feu d’artifice de couleurs. Dans la navette, les regards des passagers expriment des émotions diverses: anxiété, appréhension et concentration pour certains; rigolade ou excitation pour d’autres.

2023-09-04 ÖtillÖ WC
2023-09-04 ÖtillÖ WC


Sandhamn s’offre enfin à nous et nous sommes accueillis par des escadrons de moustiques qui se précipitent sur nos peaux odorantes avec délectation. Les toilettes publiques sont prises d’assaut inlassablement. Le petit port fourmille d’êtres aux chasubles orange (binômes féminins), verts (binômes mixtes) et rouges (binômes masculins).

La zone de départ est déjà bondée à 10 minutes du lancement de l’aventure. On vérifie le matériel une énième fois, on écoute docilement la musique de fond qui renforce notre excitation, on s’enlace pour s’encourager ou…se rassurer.

Le départ: île 6h00

Il est 6h00! Un bruit sec éclate dans l’arène locale et des centaines de swimrunners s’envolent pour relever un défi inoubliable. L’allure de course demeure modérée car il est interdit de longer sur la première section de course à pied. A quelques centaines de mètres de la première section nat, nous prenons le soin de partager une petite barre de pâte à fruits. Déjà ? Oui, entre le stress, le froid et la section de nage de 1600 m, mieux vaut se donner tous les moyens pour ne pas puiser dans nos ressources. L’entrée dans l’eau se fait facilement avec Benoit qui passe devant. Cette première section nat est assez délicate pour une raisons simple : 320 athlètes surexcités s’élancent ensemble vers le point lumineux intermittent qui nous fait face sur l’ile d’en face.

C’est un peu la sensation d’un départ de triathlon avec des plaquettes en plus et une visibilité dans l’eau en moins. Sans s’en rendre compte, Benoit prend une trajectoire à une cinquantaine de mètres des autres concurrents. Cela nous fait rallonger en distance mais au moins, nous pouvons nager sans encombre. Nous recollons nos congénères sur les 400 derniers mètres et je prends un malin plaisir à constater la vive allure à laquelle nous avançons en nat.

Le lever du soleil dans ces réserves naturelles offre des couleurs fantastiques

Quel dauphin ce Benoit ! Première sortie d’eau sans trop de difficulté bien que les rochers soient toujours aussi glissants que l’année dernière. L’ile de Vindalsö et les suivantes offrent une alternance de sous-bois et surtout de rochers qui rendent la déambulation quelque peu aventureuse. Plusieurs bipèdes se retrouvent à 4 pattes ou pire les fesses à l’air. Je suis devant sur les sections CAP et veillant à ce que Benoit ne tombe pas et s’appuie sur moi le cas échéant. Le lever du soleil dans ces réserves naturelles offre des couleurs fantastiques et appelle à une connexion immédiate avec les éléments et la Nature. L’allure est maitrisée avec une obsession : ne pas se blesser !

île RunmarÖ

L’arrivée sur Runmarö permet de passer à une autre étape de course : pas de dénivelé, pas de rochers et globalement l’occasion d’augmenter sensiblement l’allure. Je tracte mon ami vigoureusement en l’invitant à se laisser aller. Nous rattrapons 5 à 6 binômes jusqu’à partager notre balade avec Kevin et Nicolas, les copains belges de la team Envol Belgique. Nous continuons à jouer au chat et à la souris avec eux jusqu’à ce que Benoit me demande de ralentir.

Sur un ravito, Elise, qui accompagne Sebastien et Emmanuel, nous informent que nous sommes 50 èmes au classement. On a le temps de reprendre des places … ou d’en perdre. En effet, la section nat qui arrive est salvatrice pour Benoit qui commence à se plaindre de cuisses lourdes. Nous n’avons pourtant accompli qu’à peine 20 % du parcours. J’essaye de me rassurer en me disant que les choses vont rentrer dans l’ordre après cette portion de nage.

île NamdÖ et la rencontre impromptue avec Michael Lemmel

Benoit qui m’indique sentir doucement les crampes pointer du nez

Si les entrées dans l’eau sont prudentes, les sorties sont plutôt bonnes et efficaces. Nous perdons malgré tout quelques places sur des parties rocailleuses et des petits chemins qui n’en sont pas vraiment. Je me dis que ce n’est pas grave : nous remonterons au classement sur l’ile de Namdö, qui est la deuxième longue portion de course à pied. Malheureusement, les sensations ne sont pas là pour Benoit qui m’indique sentir doucement les crampes pointer du nez. On ajuste notre tactique de course : on ralentit, on s’hydrate, on s’alimente et on avise ! La rencontre impromptue avec Michael Lemmel ne suffit pas pour relancer la machine pour Benoit. Pourtant, quelle surprise magique de le revoir et quelle énergie reçue de pouvoir lui taper dans la main !

île Solvik

Sur le ravitaillement de Solvik, Benoit me redit que c’est dur. On prend alors le temps de bien manger en veillant à privilégier les produits salés (hotdog, sandwichs au jambon/fromage) et les amandes/noisettes riches en magnésium. Les bénévoles sont souriants, pétillants et surexcités, ce qui contraste avec Benoit qui affiche un masque de douleur et d’inquiétude.

Nous reprenons notre balade mais je sais, à ce moment de la course, que l’enjeu ne va pas être de finir sous les 10 heures mais bien de finir le challenge délirant qu’on s’est donné. Nous perdons des places mais cela n’a plus d’importance : j’encourage mon partenaire de garder le rythme, même s’il est léger.

Pig Swim

Benoit vole tel un fou de bassan en exercice ; en bipède, il s’embrase et s’enfonce comme un cormoran mazouté

Lorsque nous arrivons sur les portions de natation, Benoit retrouve de l’énergie de façon incroyable. Cet homme est un poisson : quelle idée de l’amener sur terre !? Nous reprenons d’ailleurs des places sur chacune de nos sections nat. L’arrivée sur le Pig swim est d’ailleurs une formalité en dépit d’un courant d’ouest qui complique la nage. Sur 1400 m, nous reprenons un groupe de concurrents qui avait au moins 300 mètres d’avance ! En revanche, les sorties d’eau sont compliquées et terribles car les crampes tiraillent mon partenaire avec cruauté.

En décubitus et dans l’eau, Benoit vole tel un fou de bassan en exercice ; en bipède, il s’embrase et s’enfonce comme un cormoran mazouté. Je souffre pour lui mais il fait preuve d’un courage admirable. Sur le ravito qui suit, Benoit fait un pari en essayant un gel qu’il ne connait pas. C’est quitte ou double : soit il supporte et il reprend des forces, soit il ne digère pas et c’est la fin. Et vous, auriez-vous choisi la pilule rouge ou bleue ? Heureusement pour nous, ça passe et ça lui redonne un peu de répit pour… quelques minutes. Chaque moment passé hors de l’eau est un calvaire pour Benoit. Je l’aide comme je peux en servant d’appui sur les descentes, en le poussant dans les montées, en l’encourageant à s’alimenter régulièrement.

île OrnÖ

je décide de ramasser tous les déchets que je pourrai voir sur cette ïle d’Ornö

Nous poursuivons notre progression et le ravito juste avant Ornö est frugal. Profitons car je sais que cette portion de 17 km va être douloureuse, épique et pénible. Nous prenons le temps d’enlever le haut de nos combis pour ne pas avoir à subir la chaleur écrasante de ce milieu d’après-midi. Je tracte à nouveau mon ami et je me réjouis de voir qu’il suit même si nous avançons à faible allure. J’essaye d’occuper son esprit en parlant de sujets divers et en tentant des blagues qui ne font rire que nous.

2023-09-04 ÖtillÖ WC

Moins drôle, beaucoup moins drôle : je décide de ramasser tous les déchets que je pourrai voir sur cette ïle d’Ornö. Nous avons déjà pesté sur les iles précédentes et je me dis que l’essentiel est au moins d’être en phase avec les valeurs originelles du swimrun qui consistent à protéger et respecter l’environnement exceptionnel que nous explorons aujourd’hui.

Plogging time

La poche de ma sous-couche où je stocke chacun de ces déchets laissés par terre me donne un ventre de femme prêt à accoucher

Me voici à faire du plogging en plein championnat du monde de swimrun ! En effet, la quantité des déchets ramassée est ahurissante : des gels usagers ou des papiers de barres de céréales ont été clairement et délibérément abandonnés par leurs propriétaires. La poche de ma sous-couche où je stocke chacun de ces déchets laissés par terre me donne un ventre de femme prêt à accoucher. Benoit et moi sommes scandalisés par le manque de responsabilité, et plus globalement de connaissance de certains concurrents qui nous précèdent aux valeurs de notre sport.

Avant même de vouloir gagner des places ou des secondes, la première règle de notre discipline est d’être en connexion avec la nature et de la protéger. Nous avons une chance inouïe et fabuleuse d’évoluer dans un cadre aussi exceptionnel. Certains ont malheureusement oublié l’essentiel. Je profiterai par déposer l’ensemble de ces papiers sur une zone de ravitaillement. Les bénévoles sont stupéfaits de la quantité de déchets que je dépose dans la poubelle.

Benoit parle tout seul

« Le dépassement de soi avec l’aide des autres » ne veut pas dire « être sourd ou aveugle à la détresse de son partenaire »

Benoit est vidé, exténué, épuisé. J’ai mal pour lui et je me sens un peu impuissant. Nous quittons le ravito qui jouxte une vieille église en marchant. L’occasion de prier pour poursuivre notre périple et atteindre notre but ultime : Utö. Benoit parle tout seul, s’encourage. Quelle force de caractère ! Il ne peut plus trottiner et pourtant son rythme respiratoire est intense et un râle inquiétant sort de ses entrailles. Je m’interroge de savoir si la ligne rouge n’est pas franchie. « Le dépassement de soi avec l’aide des autres » ne veut pas dire « être sourd ou aveugle à la détresse de son partenaire ». La frontière est parfois ténue.

Nos amis de Swimrun Beaulieu arrivent à hauteur et lui propose un antalgique qu’il accepte. Il reste quelques centaines de mètres avant de se remettre à l’eau et j’en profite pour prendre de l’avance afin d’enfiler à nouveau le haut de ma combi. Benoit arbore un sourire : il va retrouver son milieu naturel ! Ces derniers ilots sont très techniques mais l’objectif est de ne pas tomber ni de se blesser. Ca aurait été si simple si nous avions pu contourner par la mer toutes ces petits amas de terre qui se révèlent de terribles lieux de souffrance pour Benoit sur les phases de transition notamment.

île UtÖ

Pourtant, au fur et à mesure, Benoit va mieux et peut courir à nouveau. Nous sommes seuls ou presque, poursuivis par un binôme féminin qui est aussi en souffrance. Dernière toute petite portion de nat permettant d’atteindre l’ile d’amour … Utö ! Moins de 4 kilomètres de course et c’est la fin. Je félicite Benoit en lui disant que « c’est fini », « qu’on l’a fait », et qu’il a été « magnifique de résilience » ! Dans mon excitation, j’accélère l’allure de manière inconsciente et Benoit me somme de ralentir : le corps est au supplice et chaque fibre musculaire de ses membres inférieurs est menacée par des crampes insupportables : Ischios-jambiers, vaste interne/externe, crural, jumeaux, psoas-iliaques, adducteurs… Benoit aurait eu 20/20 aux QCM d’anatomie lorsqu’il était en STAPS il y a quelques années.

Benoit, magnifique, s’écroule sous l’émotion

2023-09-04 ÖtillÖ WC

Les hauts parleurs crachent une musique entrainante étouffée par la voix du speaker officiel ÖtillÖ. On touche au but… Il ne reste plus qu’une côte. Courir jusqu’au sommet de cette colline. Cette magnifique mais terrible colline. Je suis aux côtés de Benoit. Je suis heureux, incroyablement fier et admiratif de ce qu’il a accompli, de son abnégation et de son courage hors normes. Les derniers mètres sont noyés par des applaudissements d’autres concurrents déjà arrivés. Fin de l’aventure ! Benoit s’écroule sur moi subjugué par l’émotion. Il est magnifique ! Comme l’était Carine, il y a un an, au même endroit au même moment ou presque ! Cette aventure rend les gens magnifiques.

ÖTILLÖ; c’est là où tout a commencé. C’est là aussi où l’indescriptible prend forme :
« Les émotions les plus belles sont celles que l’on ne sait pas expliquer »
Baudelaire.

🔗 les résultats des championnats du monde ÖtillÖ de swimrun 2023 ici

✍️Matthieu Kerleroux IG: @swimrunnersdufarouest
📷 crédit photos Akuna/ Pierre Mangez / OtillO – SRFO

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