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Les coulisses de l’équipe de France de swimrun

Thibault Lallemand est un cadre de la fédération française de Triathlon (FFTRI). Il est le monsieur triathlon de la région Occitanie (Président de Ligue), mais il est surtout chargé de Mission depuis quelques années du Swimrun au niveau national (ainsi que le Cross triathlon et Winter triathlon). Il a succédé à Jean Michel Buniet qui a piloté l’intégration du swimrun au sein de la FFTRI en 2017. De l’organisation des premiers championnats de France de Swimrun en 2021, à l’envoi de la première équipe nationale au championnat du monde de Swimrun ÖtillÖ à Stockholm en Suède en 2022, Thibault a oeuvré en coulisse avec son Directeur Technique Thomas Amo. Nous allons revenir avec lui sur cette année charnière qui a vu les français devenir la seconde nation du swimrun en terme de performance derrière l’hégémonique nation suédoise.

A] Swimrun France: Bonjour Thibault, peux-tu nous expliquer en quoi consistait ta mission Swimrun au sein de la FFTRi et les axes empruntés depuis deux ans ?

Thibault Lallemand : Pour que la discipline soit reconnue en tant que telle, elle devait être intégrée dans une fédération et avoir au moins un Championnat de France dans le cours d’une Olympiade. C’est ainsi que le Swimrun a été intégré à la FFTRI (Triathlon et Disciplines enchaînées) et que la première mission de la Commission Swimrun a été de concevoir un Championnat de France. Nous nous y sommes attachés pendant 4 ans (dont 2 de Covid !) pour que ce championnat existe, qu’il ait une visibilité et une reconnaissance pour les organisateurs et les pratiquants. Nous avons encore du travail sur ce sujet…

Pour développer la discipline, il fallait d’abord développer et consolider le réseau des organisateurs. En attribuant le Championnat à l’un d’entre-eux chaque année, cela contribue à le mettre en lumière et à le valoriser. Au même titre que le Champion doit représenter le meilleur niveau de performance, le Championnat doit représenter ce que nous pouvons faire de mieux en terme de qualité d’épreuve (et il n’est pas utile d’y mettre beaucoup de moyens mais des moyens appropriés).

Nous avons en France un nombre d’épreuves significatifs et un nombre de pratiquants important et croissant. Dans la continuité du projet de développement de la discipline, nous devions accompagner les pratiquants d’une manière générale mais surtout ceux qui ont un projet orienté vers la performance. Cela permet une meilleure représentativité de la discipline et une personnification de la performance. Ces athlètes se font de plus en plus nombreux, avec des performances plus régulières et croissantes, on trouve des binômes et des individualités qui sont véritablement engagés, on les voit “se tirer la bourre” sur les épreuves en France et à l’étranger…

Nous avons identifié un groupe d’athlètes que nous avons invité à échanger avec nous sur des rendez-vous ponctuels en visio. Une bonne vingtaine ont été sollicités, certains sont venus, d’autres pas. L’objectif était de mieux comprendre leur mode de pratique, les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien, leurs projets, leurs attentes… et voir en quoi nous pourrions intervenir pour les accompagner.

Constituer une Team France était une perspective mais nous ne nous étions pas fixé de date. Cette Team devait être à la hauteur du meilleur niveau mondial. Il nous fallait aussi avoir une certaine densité en nombre d’athlètes (de binômes) pour que cette Team soit représentative de l’ensemble des athlètes français. Au printemps, sur les premières courses, nous avons vu un nombre important d’athlètes et de binômes évoluant au meilleur niveau. Fin mai, après les premières courses décisives, il nous a semblé que tout était réuni pour lancer cette Team dès cette année.

En démarrant en cours de saison, nous savions qu’un certain nombre d’athlètes ne pourraient figurer dans la sélection malgré leurs qualités. Dans tous les cas, nous ne pouvions accompagner qu’un nombre limité de coureurs, il y aura forcément des déçus. Nous sommes satisfaits de notre sélection, ils portent fièrement nos couleurs et je veux croire que la communauté les supporte aussi. Surtout nous sommes très contents de la réaction sportive des athlètes qui n’ont pas été retenus.

Je ne dis pas que cela a été facile et certaines déceptions étaient justifiées. Ils s’entraînent dur, c’est beaucoup de sacrifice, nous ne l’ignorons pas, nous les suivons depuis plusieurs années, nous avons pris le temps de nous expliquer. Ils sont restés mobilisés, ils ont réagi en sportif de haut niveau. Je veux les féliciter pour leur performance sur la WC Ötillö et les courses qui ont suivi. C’est enthousiasmant pour la saison 2023, elle va être très animée.

B] SRF : Quels sont les moyens mis en œuvre par la mission Swimrun pour les swimrunners ?

TL: Nous sommes sur une toute première saison en direction des athlètes, les choses vont se mettre en place progressivement. C’est une démarche nouvelle pour nous à cette échelle et c’est nouveau aussi au niveau de la Fédération. Nous tentons, nous expérimentons…

Cette année, nous relayons les informations et travaillons essentiellement sur la communication auprès des médias. Aussi, une petite dotation en équipement a été faite aux athlètes pour représenter l’appartenance à la Team France. Un petit “pécule” a été alloué à chaque athlète à l’occasion de la WC Ötillö, au regard du budget d’une saison, cette une somme quasi-symbolique. Les moyens dont nous disposons sont assez modestes mais nous nous organiserons mieux les prochaines saisons afin de bénéficier au mieux des différents services fédéraux.

C] SRF : Le process de sélection EdF pour les WC SÖÖ22 a été critiqué pour son opacité, peux-tu nous éclairer sur les décisions que tu as dû prendre ? Il y aura t-il un process de sélection pour les WC SÖÖ23 différent ?

TL: Tous les process de sélection se font à discrétion de la Direction Technique ou de la commission. Dans tous les cas, il faut tout d’abord être éligible pour être ensuite qualifiable. Pour être éligible, il faut être français et licencié. Ensuite, il faut que le binôme soit qualifié à la finale Ötillö… les performances régulières avec le même binôme permettent de mieux évaluer les binômes entre-eux.

Nous avons suivi une quarantaine d’athlètes et relevé les résultats sur les principales courses de la saison. Nous avons fait notre sélection sur cette base. Nous voulions que notre sélection figure parmi les meilleurs mondiaux, qu’elle soit représentative du niveau de performance des athlètes français.

Hugo Tormento Champion du monde 2022 avec Max Andersson
Aline Tavernier & Julia Moustakir 3ème Championnats du monde
Guillaume Henneman 6ème Championnat du monde avec Florian Schafer
Pierre Massonneau & Fabien Besançon 12ème Championnat du monde
Benjamin Dupain & David pesquet 13ème Championnat du monde
Matthieu Poullain 5ème Championnat du monde avec Eugénie Plane

Il est évident que pour cette première saison, nous avions peu de recul et les athlètes ont peu ou pas anticipé. 
La Team est désignée jusqu’au prochain Championnat de France. Pour 2023, nous n’avons pas d’idée mais il est peu probable que nous restions dans le même schéma. Cela dépend des budgets qui nous seront alloués et des projets que nous pourrons déployer.

D] SRF : Avec les bons résultats des français en équipe de France (EdF) et hors de EdF à Stockholm en septembre dernier aux championnats du monde, quelle a été la réaction au sein des hautes strates de la fédération et de la communauté des triathlètes élites en général ? Et pour toi quel bilan tires-tu de ces WC SÖÖ22 ?

TL: Les résultats des français ne sont évidemment pas passés inaperçus. Le Swimrun change progressivement de statut, le meilleur est à venir. Nous devons travailler dans les prochaines semaines avec les différentes équipes fédérales sur les perspectives à court et moyen termes. 

Les swimrunners acquièrent petit à petit un statut d’athlètes à part qui force le respect. Jusque-là, les swimrunners performants étaient souvent des triathlètes qui pratiquaient à l’occasion, aujourd’hui ce sont des spécialistes et ils commencent à être véritablement reconnus comme tels.

Cette édition 2022 de la WC Ötillö a révélé à quel point nous nous étions appropriés cette discipline. Voilà quelques années déjà que nous avons de nombreuses épreuves, de plus en plus fréquentées et de bien meilleures qualités. Nous y voyons aussi apparaître de plus en plus d’athlètes spécialistes. En toute logique, ils figurent parmi les tous meilleurs mondiaux. Il y a une forte émulation, ça tire tout le monde vers le haut et la relève est assurée.

Nous sommes évidemment très fiers du chemin parcouru, de l’évolution de la discipline qui respecte ses principes fondamentaux. Néanmoins, cette édition me laisse un peu frustré car même si beaucoup de nations sont effectivement présentes, la France est bien seule à combler son retard sur la Suède. Nous avons maintenant besoin d’accompagner le développement de la discipline avec d’autres nations pour dynamiser la pratique à l’international et créer de nouveaux défis pour nos athlètes.

E] SRF : Auras tu plus de moyens financiers et ressources humaines (com interne, cadre supplémentaire) pour l’année 2023 au vu des résultats probants de l’Edf ?

TL: Nous allons travailler avec la Direction Technique et la commission Haut niveau pour mieux prendre en compte nos besoins et tenter d’intégrer le swimrun et les autres disciplines dans les différents projets et activités fédérales. Qu’ils s’agissent de communication, de moyens techniques et/ou économiques, d’accès aux services…

La FFTRI regroupe 14 disciplines, elles n’ont pas toutes accès à la reconnaissance du “Haut Niveau” et disposent par conséquent de moindre moyens. Pourtant, elles ont de très bons résultats pour la plupart d’entre-elles (Cross-Triathlon, Aquathlon, Swimrun, winter triathlon, Raid…). C’est une vraie préoccupation au sein de la fédération, nous réfléchissons et travaillons à un meilleur accompagnement de ces disciplines ; ça prend du temps mais il faut commencer…

F] SRF : La moyenne d’âge des swimrunners est aux alentours des 35-40 ans, avec un pourcentage de féminines de près de 30%, la mise en place de sections swimrun au sein des clubs de triathlon va t-il porter ses fruits en terme de rajeunissement de la population swimrun ?

TL: Effectivement de nombreux chantiers sont identifiés pour compléter le développement de la discipline. La féminisation et la pratique jeune en sont. Nous avons des filles performantes en France mais soit elles n’ont pas de binôme et font des épreuves en solo soit elles font des courses ponctuelles. Nous espérons que les résultats de Julia et Aline vont aider à ce que les filles s’engagent durablement. Trop peu de filles se sentent concernées par la performance et le haut-niveau alors que le swimrun est une discipline qui accorde justement une place égale à chaque type de binôme.

Nous espérons mettre en place, d’ici 2024, un programme de formation pour aider les éducateurs à se former en swimrun pour qu’à leur tour ils puissent prendre en charge la discipline dans les écoles et les clubs. Il y a de nombreuses communautés qui se sont créées au 4 coins de la France, nous devons prendre le relais ou les accompagner autant que possible pour se structurer et prendre en charge la formation dans les meilleures conditions.
Nous devons aussi encourager les organisateurs à proposer des courses jeunes et/ou initiation ; c’est facile à organiser en périphérie des courses M et L.

G] SRF : Il y a t-il une question que tu aurais voulu que je te pose ? et pourquoi ?

TL: Je pense que nous allons avoir besoin d’émulation au niveau des organisations en France et à l’étranger. Il y a déjà de belles courses en France mais nous manquerons prochainement de grands rendez-vous. Nous aurons besoin de dynamiser la saison autour d’étapes qui stimulent les athlètes et donnent des objectifs renouvelés chaque année. Il faudra peut-être imaginer un circuit de type Grand-Prix pour rythmer la saison.

D’ici 2 ou 3 ans, je pense que la plupart des athlètes auront déjà fait 2 ou 3 fois les mêmes courses, il ne faudrait pas que la lassitude s’installe… Je crois que Michaël Lemmel réfléchit lui aussi au développement du circuit Ötillö sur de nouvelles destinations. La découverte, la nouveauté, proposer de nouveaux formats (Yotta XP, One Water…), de nouveaux sites… sont inhérents à notre discipline. Nous devons rester en veille permanente.

Website: https://www.fftri.com/discipline-swimrun/
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✍️Thibault Lallemand 📷 crédit photos Akuna / ÖtillÖ