Troll Enez swimrun 2024, Oscar Wilde voilà !
Dans les eaux tumultueuses du Golfe du Morbihan, le Troll Enez Swimrun 2024, qui a eu lieu le 29 septembre au départ de Port Anna, Séné, a tenu toutes ses promesses. Matthieu Kerleroux, vétéran de l’épreuve, accompagné de son binôme Joris Jalais, nous livre un récit ✍️ captivant de cette course mythique, mêlant défis sportifs et réflexions personnelles.
“Les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais”.
Il est peut-être présomptueux de penser que les 4 mousquetaires (Julien, Jocelyn, Renan et Arnaud) organisateurs du Troll Enez Swimrun, sont des disciples d’Oscar Wilde. Ceci étant, au vu des aléas climatiques de cette édition 2024 et des événements impromptus de dernière minute (le cuisinier est finalement dispo pour la pasta party du samedi soir les gars!… Tom tu en penses quoi?), on imagine que mes amis aiment sortir des sentiers battus.
Un rassemblement de passionnés
Cette édition est l’année du changement : nouveau lieu de départ et d’arrivée, ouverture de la course en relais, des modifications sur le parcours…En revanche, les fondamentaux sont toujours là :
1) le swimrun, c’est à deux ou… pas du tout! N’en déplaise aux adeptes de l’onanisme, nos hôtes résistent encore à l’appel des sirènes d’ouvrir l’événement aux solos. Notre discipline est un sport d’équipe et c’est tellement mieux ainsi!
2) Record atteint: Tel un orateur hors pair, Jojo a battu son record de “Voilà” durant son briefing de course. Perso, j’ai arrêté de compter à 687… 😉
3) Le plateau sportif de cette année est encore incroyablement relevé avec plusieurs champions du monde (homme et femmes) et top 10 sur ÖtillÖ. Hugo Tormento, Matthieu Poullain, Rémi Andrade, Thomas Guerry, Sabina, Alexis Charrier … Des athlètes incroyables par leur niveau et leur simplicité. Plus encore, je retiens surtout l’état d’esprit qui anime les personnes présentes : swimrunners, accompagnateurs, bénévoles, influenceurs et créateurs de communautés de Swimrunners, photographes, presse…Tout ce beau monde est heureux de se retrouver, de partager l’excitation de la course à venir, de ressasser des souvenirs sur des compétitions passées ou, déjà, évoquer des évènements venir comme ceux de Beaulieu, Hydra ou Cannes…
Les sourires qui se dessinent sur les centaines de visages qui grouillent à Port Anna me font penser qu’on retrouve certes des experts du swimrun, mais bien plus encore, les puristes de notre discipline. Cet esprit de fraternité et de partage est un cadeau inestimable et fragile qui nous appartient de préserver : nous en avons tous la responsabilité !
Je suis l’un des rares swimrunners à n’avoir jamais manqué une édition du troll enez. Normal: certains participants préféraient plutôt fréquenter les boîtes de nuits du haut de leur 17 ans en 2015 que d’aller se geler les miches dans les eaux du Golfe du Morbihan. En 2015, mes 17 ans étaient pour ma part déjà loin…
Une course toujours en binôme face aux éléments
Pour cette édition, j’ai le plaisir de vivre cette course avec Joris Jalais que j’avais rencontré la première fois à Sandhamn en 2022. Il remplace au pied levé mon amie Dom qui a été contrainte de déclarer forfait à cause d’une prépa athlétique tronquée. Je retrouve d’autres anciens futurs partenaires de course avec délectation : Marie-Amélie, Ronan, Pierre, Simon, Valérie, Stéphane, Carine, Arnaud, Christophe Marre, Christophe Talarmin, Jocelyn… Ce dernier ne cache pas une légitime inquiétude liée aux conditions météorologiques dantesques. Mais comme Wilde, il résiste à tout sauf à la tentation de maintenir l’épreuve.
Près de 150 binômes s’élancent le dimanche matin du petit port Anna. Une vague multicolore de chasubles jaunes (41 km hommes), bleus (41 km mixtes), verts ( 41 km femmes) et rouges (en relais) envahit avec force et détermination les chemins encore drapés dans la pénombre de la nuit. Un groupe de 6 binômes prend le lead. Nous sommes juste derrière. Je tracte Joris qui me dit que l’allure lui convient. Les French Firemen nous doublent et nous chambrent gentiment.
La tactique : tenir le rythme en natation et creuser l’écart en course à pied
Nous rentrons dans l’eau et sans surprise, un groupe de 8 binômes revient sur nous dans une mer bien formée. Joris prend le lead en nat et profite de l’aspiration provoquée par ces torpilles aquatiques. Nous arrivons sur une plage caillouteuse et balayée par des vents violents. Je repasse devant et nous prenons quelques dizaines de mètres d’avance qui fondent comme neige lorsque nous retrouvons le milieu aqueux. Joris nage fort et nous réussissons à garder l’allure en milieu de peloton. Au milieu, je reconnais notamment Vincent et Elfie engagés en relais. La stratégie de course me semble toute trouvée : on essaye de s’accrocher en nat et on refait le trou en cap. Un fait de course va malheureusement bouleverser ce plan.
Confortablement installés avec le groupe sur la section de 1500m de nat, certains vont tout droit vers le point lumineux quand d’autres se dirigent vers la bouée orange . Ce n’est pourtant qu’un repère directionnel comme l’avait mentionné l’ami Jojo durant son briefing [NDLR, lors du briefing, il a été bien précisé que ce sont les bouées jaunes qui sont directionnelles et les oranges obligatoires]. La grappe éclatée, impossible de rattraper les binômes devant nous. Nous avons perdu de précieuses minutes mais nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous mêmes. “Le mystère final est soi-même.”
Sur terre, l’allure reste correcte bien que les hanches de mon coéquipier commencent à grincer. Il est pourtant d’une résilience incroyable et ne se plaint de rien. Nous recollons un binôme qui n’est autre que Camille et son partenaire. Malheureusement, kilomètre après kilomètre, la douleur nous oblige à ralentir et nous sommes contraints de laisser les copains repasser devant nous. Ce n’est pas bien grave: nous maintenons notre effort.
Nous croisons mon ami Arnaud qui nous invite à la vigilance à cause d’imbéciles qui modifient la signalisation. L’occasion de repenser à notre jolie course ensemble sur Utö il y a 2 ans. Arnaud incarne magnifiquement Wilde quand il dit que “la modération est une chose fatale. Rien n’a de succès comme l’excès.” Toujours plus haut, toujours plus fort, toujours plus vite! J’adore!
Les paysages sont fabuleux : la mer est de plus en plus agitée, la force du vent croit avec les minutes qui avancent et les muscles se raidissent avec l’accumulation d’acide lactique et le froid qui nous embrasse… chaleureusement.
“Rien ne peut mieux guérir l’âme que les sens, comme rien ne saurait mieux que l’âme guérir les sens”.
Des randonneurs nous lancent des mots d’encouragements qui mélangent admiration et pitié. “Il faut beaucoup de courage pour voir le monde dans toute sa splendeur entachée et pour l’aimer quand même.”
La section de nat de 1300 m s’offre à nous dans un tumulte assourdissant. Un grain violent griffe une mer agonisante en laissant sur elle des scarifications blanches d’écumes.
“Je suis toujours en train de m’étonner moi-même. C’est la seule chose qui rende la vie digne d’être vécue” disait Wilde (ou Jocelyn, je ne sais plus…).
La sortie d’eau est épique et nous titubons tel des enfants dodelinant ou des ivrognes de retour de soirée ! Mon ami Joris avance avec difficulté et le froid m’enlace irrémédiablement de ses bras tentaculaires. Mes adducteurs commencent eux aussi gentiment à siffler, héritage probable de mon passé de footballeur. On se motive en se disant que l’arrivée est toute proche… Le temps de taper dans la main de Géraldine qui nous gratifie d’un de ses sourires magnifiques, de voir les copains Camille Marchand et Julien Ant, vêtus d’un chasuble rouge, nous déposer sur la dernière section de cap et d’admirer la fameuse maison rose qui surplombe le port Anna. Fin de l’aventure avec une anecdotique 16ème place.
Une arrivée sous le signe du partage et de la convivialité
Des dizaines de visages souriants viennent spontanément nous récompenser de ces plus de 5h d’effort. Le vrai swimrun, il est là: dans le partage avec son partenaire, dans la difficulté à subir les éléments naturels et à respecter l’environnement exceptionnel qui nous accueille dans son antre, et dans la convivialité avec les autres concurrents.
“Ce qui nous semble être des épreuves amères sont souvent des bénédictions déguisées.”
Le swimrun est très simple finalement.
IG : @mat_kerleroux
✍️Matthieu Kerleroux Wilde
Retrouvez les autres récits de Matthieu là : https://swimrunfrance.fr/?s=kerleroux
📷 Akuna / Troll Enez
🎥 Troll Enez