Compte-rendu de courseCourses

Naissance du “swimrun Barkley’s” dans les Gorges du Verdon

Matthieu Kerleroux (membre des fameux Swimrunners du Far Ouest) et Christophe Marre (le pompier aux célèbres chaussettes) ont vécu une aventure outdoor pas banale lors de cette édition du Swimrunman Gorges du Verdon 2023. Matthieu, décidément en verve, nous livre leur expérience d’une compétition avec les autres mais aussi avec leurs prises de décision.

l’envie de taper un top 10 au scratch compte tenu d’un plateau relevé au départ.

Contraint à l’abandon suite à l’hypothermie subie par Joel Caer sur l’ultra swimrun du Verdon en 2018, j’abordais cette édition 2023 dans un esprit de revanche et l’envie de taper un top 10 au scratch compte tenu d’un plateau relevé au départ.

Swimrunman Gorges du Verdon 2018


Engagé avec Christophe Marre sur le 48 km, nous abordons pourtant cette compétition sans aucune expérience de course commune. Nous ajustons les réglages la veille pour trouver nos marques. Tout semble au beau fixe!

Le départ est donné à 6h00. Nous prenons le wagon de tête composé d’une vingtaine d’athlètes tous (ou presque) connus. Nous réalisons une bonne transition pour aborder la même distance faite en course à pied juste avant: 1700m.

Christophe prend le lead en nat. Les sensations sont bonnes. L’eau, qui n’est pas encore turquoise avec l’aube naissante, caresse nos visages avec volupté. Nous nageons à même allure qu’Aline Tavernier et Julia Moustakir. Christophe tente une manœuvre en prenant les pieds de Tom Ralite et Vincent. Sans succès. Nous sortons 7ème du milieu aqueux en même temps que le binôme féminin. Une longue côte sinueuse et rocailleuse se présente à nous et nous fait perdre 5 places. Nous rattrapons Olivier Bragard et son binôme une fois retrouvé un sentier plat. Nous apercevons les binômes qui nous devancent.

mes performances sont proches de celles d’un grand-père asthmatique!

Une première petite erreur d’aiguillage nous fait perdre quelques secondes mais nous réussissons à conserver notre classement. Les sections nat et nos transitions sont bonnes. Sur l’une des sessions cap, nous perdons à nouveau de précieuses minutes qui permettent à plusieurs binômes de nous rattraper. Christophe extériorise son agacement sur les problèmes de balisage (ou alors, plus vraisemblable, nous sommes aussi doués en orientation qu’un chiot ne sachant pas s’il doit suivre son maitre ou sa maitresse qui vont dans des directions opposées).

Nous retrouvons notre classement assez vite et nous goûtons à une eau plus fraîche à l’embouchure des gorges. Nous ne le savons pas encore mais ce sera notre dernière session swim de la journée ! À ce moment de la course, à la racine du pont, nous occupons pourtant une jolie 8ème place au scratch.

Nous subissons une perte de 14 places lors de l’ascension de la section du 13 km (D+ de 852m!) ! Une vraie galère pour ce qui me concerne et je puise dans mes réserves bien que nous avançons à un rythme très lent. Je me savais nul en côtes mais je constate qu’en dépit des entraînements, mes performances sont proches de celles d’un grand-père asthmatique!

Heureusement, je retrouve doucement des forces une fois au sommet. En l’espace de 10 minutes, nous rattrapons d’ailleurs 2 binômes. L’allure est meilleure tant que c’est plat et que ça descend. On suit le chemin en se disant que l’objectif sportif de départ est désormais simplement de finir. On parle des autres binômes, de la phase de descente qui commence et du brouillard qui annihile toute possibilité de profiter du panorama incroyable offert par temps clair. Ce brouillard est tellement dense qu’il contamine notre esprit et efface notre vigilance et notre concentration. Tels deux enfants, nous poursuivons notre descente sur un chemin bien tracé. Je ne me souviens pas d’avoir emprunté cet itinéraire il y a 4 ans…

Débute alors un nouveau format de swimrun : “la Barkley swimrun”!

Christophe a également un éclair de lucidité en se demandant où sont les bornes. On poursuit notre chemin en accélérant la cadence, têtus comme des mules. Au bout d’un moment, nous arrivons à une patte d’oie sans pouvoir apercevoir la moindre trace d’un bandeau bleu qui confirme l’évidence : on s’est plantés de tracé ! Cela est trop: on refuse la seule chose à faire, la seule alternative logique à prendre: revenir sur nos pas. Nous décidons au contraire d’emprunter un chemin qui descend vers la gauche et qui, “c’est sûr”, nous amènera sur une route pour rejoindre le point de départ ou venir nous chercher.

Nous continuons notre descente à vive allure pendant plusieurs kilomètres jusqu’à ce que la réalité nous rattrape: on est paumés au milieu d’un paradis vert où tout bruit humain est inexistant. Débute alors un nouveau format de swimrun : “la Barkley swimrun”!😅😂

Déçus et agacés sur le moment, nous en sommes à présent à rire et à nous amuser de la situation ubuesque et saugrenue dans laquelle nous sommes. Des rictus se dessinent sur nos visages en pensant aux sarcasmes légitimes des copains ( Jocelyn Texier, Renan Le Padellec , Ronan Lesven Simon Medina, Anne Deboudt et des centaines d’autres …) qui nous attendent…

Christophe s’arrête en pensant entendre des voix

Au bout d’une quinzaine de kilomètres, nous nous retrouvons au milieu de la forêt. Christophe inspecte une pâture pour scruter des traces de selles de moutons. L’opération Koh-Lanta est lancée! Nous trouvons deux panneaux de randonnées qui attestent que nous sommes en direction opposée de notre destination finale. Pas de panique: il nous reste nos flasques, nos gels et nos pull boys!😅
Nous décidons de prendre le chemin de gauche qui semble plus large. Nous continuons de courir et Christophe s’arrête en pensant entendre des voix ; c’est simplement le coucou au loin qui chante paisiblement. Aucune perturbation humaine n’est perceptible à des kilomètres.

Pourtant, quelques dizaines de minutes plus tard, nous apercevons une clairière qui abrite une cabane précaire ainsi qu’une vieille caravane qui semble désaffectée. En s’approchant du lieu, nous découvrons un endroit pour le moins mystique. La caravane est surplombée de morceaux de bois sensés protéger une toiture métallique insalubre. Une clôture, construite en bois de récupération, entoure l’habitation. Des crânes de renards, de poules et autres mammifères inconnus ornent les mûrs extérieurs de la bâtisse imparfaite. Des plumes d’oies volent au gré du vent comme pour menacer les passants qui oseraient s’aventurer sur ces terres à priori de magie noire. Nous distinguons à travers l’épais brouillard et la vitre feutrée de la caravane trace de vie: la faible lumière d’une bougie vacille et sursaute autant que nous en entendant les aboiements de 4 énormes chiens. Un vieux pick up, immatriculé en Angleterre, nous fait supposer la nationalité de l’habitante qui s’apprête à ouvrir la porte de son logement:

  • “Hello ! Sorry, we are lost and we are looking for the nearest village please” lancé-je malicieusement.
  • “Je suis française !” répond d’une voix rauque une femme hirsute d’une cinquantaine d’années, les cheveux ébouriffés et portant des haillons. Elle nous dévisage d’un air suspect de la tête au pied en s’interrogeant sur notre tenue (même si cela parait loin, nous dialoguons, rappelons-le, au milieu de nulle part en tenue de swimrunner …).
  • Nous participons à une compétition sportive et nous nous sommes perdus. Pourrais-je appeler mon épouse pour la rassurer? poursuit Christophe.
  • “Vous avez de la chance. Le réseau est arrivé il y a à peine un mois ici.”

Très gentiment, elle répond favorablement à la demande de mon ami. Lorsque je lui dis d’où nous venons et où nous voulons nous rendre, elle m’informe, bousculée par ses molosses bruyants qui lui sautent sans cesse dessus, que c’est à une petite heure en voiture! Elle se propose alors de nous ramener au village le plus proche: Palud sur Verdon situé à 12 km de là.

Elle n’est en revanche pas sûre d’avoir assez d’essence car elle voyage peu et souhaite rester “vivre seule au fond de la forêt comme les animaux,” comme elle le fait, depuis 20 ans!.
Afin de laisser un peu de place pour nous asseoir, nous enlevons différents outils et objets improbables: un sabre, une hache, et des sacs de coquillages. Avant de prendre la route, elle accepte de nous prendre en photo avec son Nokia 100 afin d’immortaliser le moment…
Une rencontre surprenante nous a finalement permis de retrouver la civilisation après quelques heures à errer au milieu des gorges.
Deuxième tentative au Verdon, Deuxième échec.

La prochaine fois, c’est nous qui baliserons le parcours en prévoyant un D+ …négatif! 🙃😂
Je suis forcément déçu du piètre résultat, et surtout pour Christophe qui est un super athlète autant qu’une belle personne. Mais je retiens malgré tout l’aventure atypique et somme toute drôle que nous avons vécue.
« En route, le mieux c’est de se perdre. Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors, mais alors seulement, que le voyage commence. » Nicolas Bouvier.

✍️Matthieu Kerleroux
📷 crédit photos Akuna/Sandy (la propriétaire de la cabane dans la forêt !)😉