Edito

La swimrunneuse et le reflet clandestin

« C’était bien des branchies, des putains de branchies ! »
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🇫🇷 Le reflet le clamait sans trembler, alors que le lavabo résonnait encore du goutte‑à‑goutte routinier. La cafetière fredonnait une basse monotone ; dehors, Stockholm frissonnait sous une bruine de carte postale. Elle, Anna, effleura les fentes qui pulsaient juste sous l’angle de sa mâchoire : lisse comme de la cire, irréelle comme un rêve qui s’obstine après le réveil.

Moins d’une heure avant le départ des championnats du monde de swimrun. Jonas, son binôme, envoyait des messages nerveux : Ferry dans dix minutes. Elle enfila la combinaison néoprène, attacha la puce à la cheville, mais le miroir ne lâchait pas prise ; il ouvrait une coulisse vers un ailleurs saturé d’embruns où chaque battement de branchies sonnait comme un solo de sax en sourdine.

Dans le métro, station après station, les portes découpaient des visions obliques : voyageurs‑requins lisant le journal, contrôleur‑pieuvre poinçonnant des billets transparents. Elle respirait un air soudain dense, presque liquide. Jonas lui demanda si ça allait. Elle répondit par un haussement d’épaules, observatrice perméable.

À l’embarcadère de Strömkajen, le ferry avala la cohorte de combinaisons luisantes encore chargées de bruine. La cale vibrait d’un grondement sourd tandis que la ville reculait, ciel charbon piqueté de lumières sodium. Sur les banquettes plastifiées, les athlètes se jaugeaient, échangeant à mi‑voix des pronostics que l’obscurité rendait plus tranchants. Anna, elle, guettait les vitres du salon panoramique : chaque éclat d’aube, timide, pouvait révéler les branchies fantômes qui pulsaient dans son souvenir. Dans les toilettes exiguës, le hublot rond lui renvoya un visage étranger—ombre fugace de fentes mauves—avant de s’effacer dans une embardée du bateau. Son cœur tambourinait à contre‑temps du diesel ; lorsque le phare de Sandhamn surgit enfin, un soupir collectif expira, mais sa panique restait accrochée à sa gorge comme une algue récalcitrante.

Sandhamn. Starter prêt. Bruit sec du pistolet, ruée dans l’écume. Jonas à bâbord, elle à tribord, reliés par une corde élastique. Dès les premiers mètres, l’eau salée envahit sa bouche ; réflexe de panique, puis calme abyssal : les branchies du miroir, absentes de sa peau réelle, irriguaient pourtant ses poumons d’un oxygène de coulisse. Elle cessa de relever la tête, fila sous la surface comme un train de nuit. Jonas, tiré par la ligne, crut d’abord qu’elle coulait ; il comprit vite qu’elle menait une trajectoire parallèle, amphibie, et se laissa guider, souffle court d’étonnement.

Les îlots défilèrent : Vindalsö, Runmarö, Munkö kaléidoscopique, pins penchés, granit strié, singles chaloupés éclaboussés de fleurs mauves. Sur les sections de course, leurs pas résonnaient comme sur la coque d’un navire, et le monde se repliait en accords dissonants. L’étrangeté devint la norme : phoques‑juges brandissant des panneaux de temps, goélands‑trompettes modulant des breaks de batterie.

![Sprint sur l’îlot rocheux](sprint-ile.png)

Kilomètre trente‑quatre, le pig swim : Jonas manqua d’air, elle lui prêta la corde comme tuba improvisé, partageant par capillarité le souffle venu du miroir ; la réalité et son reflet s’emboîtaient un instant avec la précision d’un riff parfaitement posé.

L’arrivée se matérialisa sans fanfare. Pas de médaille, juste un sel froid sur la langue et un silence d’amphithéâtre vide. Izak, le speaker annonçait un record officieux, mais les mots se dissolvaient avant d’atteindre ses oreilles. Anna scruta une flaque : aucune fente, seulement le miroitement inquiet d’un visage légèrement déplacé.

Au bar du port, leurs combinaisons gorgées d’eau gouttaient sur le carrelage. Jonas leva son verre : « À quoi qu’on ait respiré là‑dedans. » Elle sourit, sentit le miroir se refermer quelque part derrière son crâne, comme on claque un couvercle de piano. « Tout est pardonné », pensa-t-elle avant de siroter sa bière.

🧠✨✍️ Chatgpt O3 / Akuna
📷 Chatgpt O3

🇬🇧”Gills, Damn Gills!”

The reflection proclaimed it without trembling, while the sink still resonated with its routine drip-drip. The coffee maker hummed a monotonous bass; outside, Stockholm shivered under postcard-perfect drizzle. She, Anna, brushed the slits pulsating just below the angle of her jaw: smooth as wax, unreal as a dream that persists after waking.

Less than an hour before the swimrun world championships. Jonas, her partner, was sending nervous messages: Ferry in ten minutes. She slipped on the neoprene wetsuit, attached the timing chip to her ankle, but the mirror wouldn’t let go; it opened a passageway to an elsewhere saturated with sea spray where each beat of gills sounded like a muted saxophone solo.

In the subway, station after station, the doors carved out oblique visions: shark-passengers reading newspapers, octopus-conductor punching transparent tickets. She breathed air suddenly dense, almost liquid. Jonas asked if she was alright. She responded with a shrug, a permeable observer.

At Strömkajen pier, the ferry swallowed the cohort of gleaming wetsuits still heavy with drizzle. The hold vibrated with a dull rumble as the city receded, a coal-black sky dotted with sodium lights. On plastic benches, athletes sized each other up, exchanging predictions in hushed tones that darkness made sharper. Anna watched the panoramic salon windows: each timid glimmer of dawn might reveal the phantom gills pulsing in her memory. In the cramped bathroom, the round porthole reflected back a stranger’s face—fleeting shadow of mauve slits—before vanishing in a lurch of the boat. Her heart drummed out of sync with the diesel engine; when Sandhamn lighthouse finally appeared, a collective sigh expired, but her panic remained caught in her throat like a stubborn strand of seaweed.

Sandhamn. Starter ready. Sharp crack of the pistol, rush into the foam. Jonas to port, she to starboard, connected by an elastic cord. From the first few meters, salt water invaded her mouth; reflex panic, then abyssal calm: the mirror’s gills, absent from her actual skin, nonetheless irrigated her lungs with backstage oxygen. She stopped lifting her head, shooting under the surface like a night train. Jonas, pulled by the line, first thought she was sinking; he quickly understood she was charting a parallel, amphibious trajectory, and let himself be guided, breath short with amazement.

The islets passed by: Vindalsö, Runmarö, kaleidoscopic Munkö, leaning pines, striated granite, rolling singles splashed with mauve flowers. On the running sections, their footsteps resonated as if on a ship’s hull, and the world folded into dissonant chords. Strangeness became the norm: seal-judges brandishing time boards, seagull-trumpets modulating drum breaks.

Kilometer thirty-four, the pig swim: Jonas ran out of air, she lent him the cord as an improvised snorkel, sharing through capillary action the breath from the mirror; reality and its reflection fit together for a moment with the precision of a perfectly placed riff.

The finish line materialized without fanfare. No medal, just cold salt on the tongue and the silence of an empty amphitheater. Izak, the announcer, was declaring an unofficial record, but the words dissolved before reaching her ears. Anna scrutinized a puddle: no slits, only the anxious shimmer of a slightly displaced face.

At the harbor bar, their water-logged wetsuits dripped onto the tiles. Jonas raised his glass: “To whatever we were breathing down there.” She smiled, felt the mirror closing somewhere behind her skull, like snapping shut a piano lid. “All is forgiven,” she thought before sipping her beer.

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