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Bilan 2024 et avenir du Swimrun au sein de la FFTri

Thibault Lallemand est un cadre de la fédération française de Triathlon (FFTRI). Il est le monsieur triathlon de la région Occitanie (Président de Ligue), mais il est surtout chargé de Mission depuis quelques années du Swimrun au niveau national. De l’organisation des premiers championnats de France de Swimrun en 2020, à l’envoi de la première équipe nationale au championnat du monde de Swimrun ÖtillÖ à Stockholm en Suède en 2022, Thibault a œuvré en coulisse avec son Directeur Technique Thomas Amo. Nous allons revenir avec lui sur cette année faste qui a vu les français devenir la première nation du swimrun en terme de performance masculine devançant la nation suédoise.

Thibault Lallemand à gauche

Les pratiquants

A] Swimrun France: Bonjour Thibault, nous arrivons à la fin de l’olympiade 2020-2024 qui t’a vu succéder, avec Thomas Amo, à Jean Michel Buniet. Peux tu nous dire quelles ont été les principales étapes qui ont vu les français devenir la première nation du swimrun en terme de performance masculine devançant la nation suédoise ?

Thibault Lallemand : Merci pour cette question qui me permet de faire un peu de rétrospection 🙂 ça a été un long chemin ! À vrai dire, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu des étapes mais que ça a été un ensemble de points de passages, une grande quantité de leviers à actionner de manière coordonnées – ou non, créer des opportunités, mettre en place des éléments de convergence, contribuer à créer des contextes favorables… Il y a bien eu des épisodes marquants qui jalonnent cette période mais je n’ai pas le sentiment que l’un est la conséquence du précédent.
En fait, j’ai toujours considéré que nous n’étions pas les « maîtres du jeu », mais qu’il s’agissait d’un travail collaboratif avec de nombreux acteurs et que notre tâche consistait surtout à créer un contexte favorable au développement.
Tout d’abord, nous avons bénéficié d’une fédération à l’écoute qu’il a fallu convaincre et qui nous fait confiance.
Nous avons pu nous appuyer sur un réseau de clubs et d’organisateurs motivés et consciencieux pour proposer des épreuves de qualités – environ 60 en France.
Et ensuite, il a fallu développer et consolider le nombre de pratiquants. Ça a été le travail le plus délicat mais le plus motivant pour nous parce que ce sont les premiers concernés.
C’est ainsi qu’est né le Groupe France Swimrun. Je ne vais pas revenir sur sa genèse mais là aussi, ça a été un vrai travail collaboratif. Si effectivement il fallait retenir 1 seul point d’étape dans cette olympiade, c’est la création de ce Groupe France.

Photo de l'équipe de France de swimrun en Suède à Djuronaset

avoir 7-8 équipes dans le top 10, c’est énorme – Thibault

Je crois que nous nous sommes tous pris au jeu. On peut dire que ça été grisant et ça l’est encore plus aujourd’hui. Depuis 2020, les français prennent place sur le circuit et la finale Ötillö. Chaque année nous avons eu des « premières fois » avec une présence croissante. Les athlètes se rendent aussi sur des épreuves à l’étranger (Espagne, Portugal, Autriche…) pour y rencontrer la même réussite. Cette finale Ötillö 2024 est éclatante mais c’est en fait une suite logique sans être un aboutissement. Le niveau français monte en performance avec des équipes de plus en plus nombreuses… avoir 7-8 équipes dans le top 10, c’est énorme mais cela révèle aussi quelques faiblesses : la trop faible présence des filles (on va y travailler!) et des nations concurrentes qui ne sont pas à niveau (on y travaille aussi!) et un circuit à bout de souffle. Cela ne minimise en rien la performance des athlètes français, on connaît les conditions de courses, les chronos et les places qui se disputent à quelques secondes… mais si nous devançons la nation Suédoise c’est probablement que la FFTRI a engagé un travail de développement que n’a pas fait la fédération Suédoise – ni les autres.

B] SRF : J’ai été frappé par l’excellente ambiance au sein de l’équipe de France, très souvent les athlètes se congratulent chaleureusement dans la finish line. Quels ont été les ingrédients pour que la recette ait aussi bien construit ce collectif ?

TL: Je ne sais pas trop quelle part accorder au travail que l’on a réalisé Thomas et moi.
Nous ne sommes pas directement liés à la DTN et nous n’avons aucune orientation à donner quant à leur préparation au quotidien. Nous nous sommes donc attachés à créer une émulation et de la cohésion au sein du groupe. Nous les accompagnons du mieux que nous pouvons avec les moyens dont on dispose.

50x 100 départ 1’15, ça crée des liens 🙂 – Thibault


Il nous paraissait important que les athlètes puissent se retrouver et partager des moments et des séances d’entraînements et que nous puissions par la même occasion prendre le temps de discuter sur les points d’améliorations et ce que nous pourrions mettre en place pour accompagner le développement de la discipline. Nous voulions aussi développer un groupe de niveau élevé et relativement homogène pour que des binômes puissent se créé en cas de blessure ou d’opportunités de courses.
Nous avons mis en place des moments d’échanges privilégiés, nous sommes attentifs à ce qu’ils puissent pratiquer dans les meilleurs conditions, nous valorisons leur résultats, nous les retrouvons sur les épreuves, nous sommes à l’écoute. Ils s’entrainent bien souvent seuls ou isolés des autres pratiquants, le groupe France permet de créer un lien entre eux. Aussi, nous avons mis en place un stage annuel pour se retrouver, s’entraîner, mettre en place des séances spécifiques, on discute, on échange sur les préoccupations des uns et des autres, nous faisons des retours sur les évolutions à venir, cela crée une saine émulation… et puis les 50x 100 départ 1’15, ça crée des liens 🙂
Une relation de confiance s’est installée, des amitiés fortes ce sont tissées. Ils ont beaucoup de choses en commun, ils se retrouvent et se défient sur les courses, ils ont la même approche de la discipline, la même passion, le goût de la patche dans l’eau et des éclats de rire à l’arrivée. Il faut juste leur donner l’occasion de se réunir de temps en temps 🙂

C] SRF : Comment évalues-tu l’évolution de la pratique du swimrun chez les jeunes et les femmes depuis le début de votre mandat ? Quelles actions spécifiques envisagez-vous pour ces catégories ?

Le stage que nous envisageons au printemps sera particulièrement ouvert aux filles – Thibault

TL: Le sujet de la pratique jeune est délicat. Les jeunes sont pris en charge par le programme de l’école française de triathlon avec une saison déjà très chargée. La pratique jeune est très encadrée par la FFTRI, c’est un sujet qui monopolise beaucoup d’énergie dans les clubs, les Ligues et les Comités départementaux, il y a beaucoup d’enjeu ; il est difficile d’envisager une quelconque intervention sans considérer tout les aménagements que cela impliquerait. Par contre, nous réfléchissons aux moyens que nous pourrions mettre en place parallèlement pour favoriser/inciter à la découverte d’autres disciplines comme le raid et bien-sûr le swimrun.

La pratique féminine est aussi un vrai sujet. Il y a beaucoup de pratiquantes mais beaucoup moins que d’hommes et peu sont orientées vers la compétition. Nous avons un gros défi devant nous… par essence, le swimrun offre une accessibilité équivalente aux garçons et aux filles. Le format équipe permet aussi d’entrer dans la discipline de manière accompagnée si besoin. La problématique de la pratique féminine existe dans de nombreuses disciplines, à nous de trouver la parade.

Le stage que nous envisageons au printemps sera particulièrement ouvert aux filles pour mieux les accompagner dans leur projet sportif. Nous devons mieux et plus aider les filles à faire le pas. Nous avons pu voir cette saison des athlètes prometteuses, j’espère que nous pourrons les accueillir. Cela permettra d’encourager d’autres femmes à expérimenter le swimrun.
Nous réfléchissons aussi à inciter les formats courts pour aider la pratique jeune et la découverte. C’est un chantier à part entière qui est noté dans le projet de la prochaine mandature.

Les courses

D] SRF : Dans les axes de travail que tu avais décris l’an dernier lors de notre entrevue à Cannes, nous sentions qu’il y a une volonté de développer, mettre en avant les épreuves française avec la création non pas d’un championnat de France mais d’un circuit avec plusieurs date et une grande finale. Alors est ce plutôt une volonté de cimenter un élan national que de se concentrer vers l’ÖtillÖ ? Quelles sont les épreuves retenues et pourront elles se conformer au cahier des charges de la FFTRI ?

TL: Dès le début de la mandature j’ai voulu nous affranchir de l’Ötillö. Du moins, j’étais convaincu que l’essor de la discipline ne dépendait pas de ce circuit même s’il était une référence pour les athlètes. Pour développer une discipline, il faut s’appuyer sur plusieurs leviers dont l’accompagnement des athlètes, la conduite d’un projet sportif, la formation des encadrants, le soutien aux organisations en veillant à la diversité de l’offre… ça c’est le travail d’une fédération.

Oui, il y aura bien un championnat de France en mode circuit l’an prochain – Thibault

Ötillö propose un circuit avec de belles épreuves, une organisation bien huilée, sur lesquelles les athlètes ont pour habitude de se retrouver. La finale Ötillö est une référence avec un parcours exigeant et celui qui l’emporte est incontestablement le meilleur. C’est un mythe comme il en existe dans d’autres disciplines. Mais c’est aussi un circuit onéreux et inaccessible au plus grand nombre. Et au regard des résultats de la dernière édition, il y a quand même des enseignements à tirer. Nous avons en France, plusieurs milliers de pratiquants (j’attends les chiffres 2024) et une soixantaine d’épreuve… quand les autres nations voudront développer le swimrun, nous, nous serons prêts !

Lieu de la Finale… à venir ! – Thibault

Oui, il y aura bien un championnat de France en mode circuit l’an prochain.
Il y aura 5 dates. Il faudra prendre le départ de 3 pour valider son circuit sachant que la dernière étape, la finale, est obligatoire puisque c’est sur celle-ci que nous remettrons les titres. Cette finale aura un coefficient de 1,5 et elle sera décisive en cas d’égalité de points. Nous avons tenté de couvrir le territoire français mais nous avons là aussi un gros chantier car il y a des régions avec 1 seule épreuve dans la saison !
Il y aura donc :
📍Jablines – format à convenir : le 3 mai
📍SwimrunMan du Verdon – format Classic : 11 mai
📍SwimrunMan Vassivière – format Night&Day : 21-22 juin
📍Aquaterra – format L : 5 juillet

Lieu de la Finale… à venir !

Voilà, des épreuves connues, d’autres moins, des formats inédits, de belles découvertes et de belles batailles en perspectives. Nous avons tenté d’éviter les dates communes avec le circuit Ötillö pour permettre aux athlètes de mener le double projet.

E] SRF : Le swimrun est une discipline en constante évolution. (Le backyard, les courses nocturnes, avec orientation, la Yotta…) Quelles innovations ou tendances voyez-vous émerger, et comment la FFTri compte-t-elle s’y adapter ?

TL: Ces formats existent déjà sur certaines organisations. La première (est quasiment la seule) caractéristique du swimrun est d’enchaîner au moins 3 sections sans arrêt du chronomètre. Autant dire que cela ouvre beaucoup de possibilité. D’ailleurs, sur l’étape de Vassivière du Championnat de France, il y aura non seulement un épreuve de nuit mais elle se courra en 2 manches puisqu’il faudra faire 2 boucles le soir (la nuit) et 1 autre au petit matin. Le résultat se fera sur l’addition des 2 chronos.
Nous sommes prêts à accompagner les organisateurs et surtout nous sommes ouverts à toutes les formes tant qu’on peut garantir la sécurité et l’équité.

Les formateurs

F] SRF : Où en est la formation des entraîneurs spécialisés en swimrun comme axe de développement pour la fédération ?

TL: Je dois avouer que cette année n’a pas été comme les autres et que ce dossier n’a pas avancé comme je l’espérai. D’autres éléments sont venus compléter le sujet et ouvrent de nouvelles possibilités. C’est aussi un dossier qui intègrera le projet 2025-2028.

La prochaine olympiade 2023-2028

G] SRF : Une autre Olympiade se profile, comment se déroule les nominations pour les chargés de mission du Swimrun ? Toi et Thomas êtes vous partant pour 4 années supplémentaires ?

La nomination des chargés de missions interviendra après l’élection du président de la Fédération, fin décembre


TL: Il faut avouer que nous avons vécu 4 années assez exceptionnelles. Le couronnement de Matthieu + Alexis cette saison vient boucler la boucle.

Matthieu Poullain : C’était la première fois que je faisais équipe avec Alexis et nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre de la course. Il était clair que nous visions la victoire. Nous avons fait une très bonne première nage et sur la première île sur les rochers glissants, nous avons réussi à créer un écart que nous avons réussi à maintenir avec notre rythme. Une fois arrivés à Ornö, c’était vraiment dur pour moi car après la natation surnommée « Pig Swim », mes jambes étaient vraiment fatiguées. Puis encore une fois, ces trois dernières années, je me suis toujours senti mal à Ornö, donc j’y étais habitué, alors j’ai simplement suivi Alexis qui était vraiment fort. En arrivant à Utö, nous avions une avance suffisante pour vraiment profiter des derniers kilomètres.

Alexis Charrier : Matthieu et moi n’avions jamais couru ensemble mais nous avons tous les deux beaucoup d’expérience à courir l’un contre l’autre ces dernières années. Nous avons donc essayé de mettre en place une bonne stratégie qui fonctionnait pour nous deux et ensuite de rester aussi près que possible de celle-ci.
Nous avions en fait prévu de commencer rapidement sur la première nage et de nous éloigner des autres équipes, mais cela ne s’est pas produit, donc nous étions dans une course serrée avec les autres équipes. La « Pig Swim » a été l’une des pires que j’ai eues en cinq fois que j’ai couru à ÖTILLÖ. Parfois, on avait l’impression de nager dans un mur de vagues, mais nous avions un très bon plan, nous alternions la position de tête entre nous pendant la nage. Même si nous ne l’avions jamais pratiqué, nous avions une façon très fluide de courir. Nous avons aussi alterné dans la course. La stratégie était aussi de minimiser les erreurs jusqu’à Ornö. Ornö était la partie la plus difficile de la course, nous avions froid avant donc les jambes étaient fatiguées.

Nous sommes tellement fiers pour eux, pour tout le travail qu’ils ont accompli, le parcours jalonné de succès et d’embuches, l’abnégation, l’humilité dont ils font preuve alors que la performance est remarquable. C’est pour nous aussi, une certaine forme d’aboutissement. C’est aussi un investissement important en temps et en énergie.
La nomination des chargés de missions interviendra après l’élection du président de la Fédération, fin décembre. C’est lui qui nomme les commissions et missions, donc tant qu’il n’est pas élu…
Il y a encore tant à faire, avec des projets tellement motivants… difficile de ne pas avoir envie de poursuivre l’aventure.

H] SRF : Quelles évolutions en termes de moyens financiers et de ressources humaines envisagez-vous pour la prochaine olympiade, compte tenu des résultats de l’équipe de France ?


TL: Nous avons des projets, ceux évoqués tout à l’heure, qui vont nécessiter des moyens financiers.
Le budget de la mission est sujet à un arbitrage annuel qu’il est difficile d’anticiper ; les différentes commissions et missions présentes leurs budgets prévisionnels et les arbitrages se font en Conseil d’Administration. Les résultats de l’équipe de France sont à mettre à notre crédit bien sûr et la bonne santé du Swimrun en France aussi.

I] SRF : Quels sont les défis majeurs que tu identifies pour le swimrun français dans les années à venir, tant au niveau national qu’international ?


TL: Tout d’abord, je pense que le succès du circuit Championnat de France sera révélateur et même un indicateur du bon développement de la discipline en France. Il nous faudra, comme évoqué tout à l’heure, développer la féminisation et la pratique jeune, la formation des encadrants et le développement au sein des clubs.
Mais le plus gros défi sera le développement à l’international. Nous devrons reprendre les travaux engagés avec World Triathlon pour inciter d’autres fédérations nationales à nous rejoindre et bâtir des épreuves internationales accessibles à tous.

SRF: merci Thibault

Website: https://www.fftri.com/discipline-swimrun/
Groupe FB swimrun FFtri: https://www.facebook.com/groups/343916076257800
✍️Thibault Lallemand 📷 crédit photos Akuna / ÖtillÖ

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