Entraînement

Quelle stratégie nutritionnelle en swimrun ?

Nous avons demandé à Anne Laure Sauzeau, diététicienne de métier et swimrunneuse émérite de passion (qualifiée pour les championnats du monde ÖtillÖ 2020), de partager avec nous son expertise nutritionnelle.

Ma vie de sportive

Depuis mon enfance j’ai toujours pratiqué différents sports, à un petit niveau, juste pour le plaisir. Plus tard, vers 25 ans, j’ai commencé à « trottiner ». A 26 ans j’ai découvert le monde de la compétition avec mon 1er 10km et mon 1er semi marathon, mais surtout mon 1er trail. Une révélation !

Le sport nature, l’ambiance chaleureuse, la “pasta party” d’après course ! Les trails s’enchaînent, les distances augmentent, mes classements sont plutôt bons. Parallèlement je me mets à « barbotter » régulièrement à la piscine, vraiment pour le plaisir ! Aucune facilité, comme celle que j’ai pu découvrir en course à pied.

Et puis un jour, hasard de la vie, au détour d’une finish-line de trail, une personne (qui deviendra mon compagnon) me propose d’essayer le swimrun… Quesako ?! Un sport multi-enchainé où l’on court et où l’on nage en basket avec un pullboy et des plaquettes de préférence?! Cette personne, aujourd’hui mon binôme dans la compétition comme dans la vie, m’a entraînée dans toutes sortes de courses improbables et incroyables !

Anne Laure à ÖtillÖ Engadin 2019

Comme point d’orgue, nous avons vécu une année 2019 bien remplie sur le circuit international Otillo World Series. C’est ainsi que nous avons participé à 5 courses dans les plus beaux spots européens. Avec à la clef l’obtention d’un beau classement au ranking mondial Ötillö. Cela nous a permis d’être qualifiés pour la finale du World Championship 2020 (65k trail – 10k swim), le 31 août 2020 en Suède, le berceau de la discipline. Le graal de tout swimrunner !

La prépondérance de l’hydratation et l’alimentation dans le swimrun

En tant que diététicienne, la nutrition tient une place importante dans ma vie, et bien sûr dans ma pratique sportive. En découvrant le swimrun, j’ai découvert un univers de passionnés, de fans de sports Outdoor et attentifs à l’environnement, un sport exigeant, où l’on n’a généralement pas de sac à dos avec une poche à eau, ou un porte bidon, seulement quelques poches où ranger ses barres, gels ou autres produits de l’effort. J’ai découvert un sport tellement exigeant au niveau physique et psychologique. Moi qui était seulement habituée à mes longueurs en bassin municipal, je me retrouve à enchaîner des kilomètres en natation et en trail.
Et ce qui rend cette discipline encore plus difficile, c’est que bien souvent les conditions de courses sont difficiles, parfois même extrême ! Mer agitée, eau froide, run avec dénivelé, climat changeant, chaud, froid …

Parmi mes souvenirs anecdotiques, et il y en a tellement, Juin 2019, swimrun format L de Côte Vermeille. 1ère hypothermie … course très difficile ! Quelques semaines après nous sommes inscrits pour le World Series ÖtillÖ Engadin, en lacs, en altitude, en Suisse, donc en eaux très froides. Hors de question de revivre ça. J’en étais convaincue, mais là, j’en ai désormais la certitude : l’alimentation et l’hydratation ont un rôle prépondérant dans le bon déroulement d’une compétition et surtout d’un swimrun. Au final l’une des mes plus belles courses, et pas d’hypothermie !

Stratégie nutritionnelle

Une bonne stratégie nutritionnelle va permettre d’arriver le jour de la compétition dans un « état nutritionnel » optimal, c’est-à-dire en limitant les carences, avec un système digestif conditionné à l’effort, et avec des stocks optimaux en glycogène (réserve de sucres, donc réserve d’énergie).
L’épuisement de ces réserves entraînerait une fatigue générale jusqu’à l’épuisement total et l’arrêt de l’effort.

Les objectifs seront donc :

  • ➡️ de faire un maximum de réserves avant la compétition (régime dissocié modifié)
  • ➡️ de bien entretenir ces réserves pendant l’effort (en ayant habitué son organisme à aller puiser préférentiellement dans les lipides, et en apportant régulièrement des glucides)
  • ➡️ d’assurer un confort digestif tout au long de la course

Une bonne hydratation est également l’un des facteur clé. Les phénomènes de déshydratation sont fréquemment rencontrés dans toute discipline. Les swimrunners sont d’autant plus à risques qu’il n’est pas aisé de boire régulièrement tout au long de la course, ni de s’alimenter correctement (car pour bien s’hydrater il ne suffit pas de boire de l’eau, il faut apporter des nutriments).

L’une des difficultés majeur en swimrun : la thermorégulation. Les variations de températures peuvent être importantes, entre l’eau et l’extérieur, mais aussi sur les parties run selon le dénivelé … les eaux peuvent être souvent froides, la combinaison néoprène sur les runs peut gêner à l’élimination sudorale et donc à la régulation de la température corporelle …

Objectif : Éviter autant l’hypothermie que l’hyperthermie .

Une bonne alimentation et une bonne hydratation vont encore trouver ici tout leur sens pour permettre au corps de réguler cette température.

Avant la course :

Au quotidien :

Avoir une alimentation variée, adaptée aux besoins du swimrunner (tant en calories qu’en macro et micronutriments). Ces apports doivent donc être personnalisés à la dépense énergétique, au rythme professionnel, familial, aux entraînements, aux goûts …
De manière générale les apports sont idéalement réguliers sur la journée, avec 3 repas principaux et 1 à 2 collations.

Les fruits et légumes doivent trouver une place importante, tant pour leurs apports en macro (glucides, fibres) qu’en micronutriments (vitamines, minéraux, antioxydants) permettant aussi un équilibre acido-basique, indispensable pour contrebalancer l’acidité tissulaire liée à la pratique sportive intense. Ils participent également à l’apport hydrique.

Les produits céréaliers et légumes secs qui apporteront des micronutriments importants, sont aussi la source principale d’énergie sous forme de glucides complexes. Ils seront à privilégier « complets » pour des apports de qualité en fibres, micronutriments, et pour un index glycémique beaucoup plus intéressants que les produits raffinés. Cet index glycémique bas ou moyen va permettre de maintenir une glycémie équilibrée au quotidien.

Les protéines sont importantes pour le sportif, mais la tendance est souvent de consommer trop de produits d’origine animale (viandes, poissons, œufs, produits laitiers) (qui apportent aussi souvent des graisses de mauvaise qualité, de l’acidité tissulaire…), alors que ce statut en protéines est largement couvert par une alimentation variée en produits d’origine animale mais aussi végétale (produits céréaliers, oléagineux, légumes secs…).

Les graisses doivent être de qualité pour un un apport en énergie, mais aussi en vitamines liposolubles (A, D, E et K) et en acides gras indispensables (oméga 3, 6 et 9 essentiellement. On insistera surtout sur l’apport en oméga 3, souvent insuffisants dans la population générale et en particulier chez le sportif, chez qui ils sont essentiels notamment pour leur effet anti inflammatoire).

De manière générale, les produits industriels sont à éviter. Ils peuvent être souvent trop sucrés, salés, gras, avec des additifs… Il est conseillé de cuisiner au maximum « maison ».

Ce tableau non exhaustif, présente les aliments à privilégier au quotidien ;

Boissons Eau, café (bio si décaféiné), Thé blanc ou vert, infusion
Matières grasses et oléagineuxvierges première pression à froid huile d’olive, de chanvre, de lin, de colza, de cameline (pour l’assaisonnement) Noix, amandes, noisettes, graines de chia,de lin…
Produits laitiers  Au lait de vache, brebis, chèvre (produits à base de soja enrichis en calcium), de préférence « bio » ou « bleu blanc coeur » ou issus de petits producteurs locaux nourrissant leur élevage à l’herbe 
Produits sucrésChocolat noir minimum 70% cacao, miel
Produits céréaliers Riz semi-complet, pâtes au blé complet ou semi complet, quinoa, sarrasin, patate douce, lentilles, pois chiches, flageolets… pain au levain, biologique, complet, à l’épeautre, ou petit épeautre, aux céréales 
Viande Privilégier la volaille, lapin, canard fermier viande rouge de qualité, label rouge, filière bleu-blanc-coeur
Œufs Bio ou plein air (code 0 ou 1), issus de la filière bleu-blanc-coeur, riches en oméga 3 
Poissons et fruits de mer poissons blancs et poissons gras (privilégier les petits poissons maquereau, sardine, hareng ; thon et saumon occasionnellement), crevettes, moules, huîtres…
Fruits et légumesTous d’origine locale, bio, le plus frais possible  frais ou surgelés au naturel 
Herbes, épices, aromatesHerbes de Provence, basilic, persil, coriandre… curry, curcuma, paprika, cumin, cannelle… gingembre, ail, oignon, cébette, clou de girofle…

En swimrun, effort d’endurance, où les prise de ravitaillement sont complexes, il sera intéressant d’habituer son organisme à « taper » dans les graisses plutôt que dans les sucres. Au quotidien pratiquer régulièrement des séances à jeun ou de type «”Train low, compete high”» (consistant à faire un 1er entraînement sans consommer de glucides avant d’enchaîner un 2eme entraînement dans la journée, qui sera donc effectué avec des réserves faibles en glycogène).

La semaine précédent le swimrun :

Pour des swimrun exigeants, mettre en place un régime dissocié modifié va permettre de faire un maximum de réserves en glycogène. Il doit avoir été testé plus tôt dans la saison.
Il se déroule sur 3 jours, idéalement de J-4 à J-2, les apports en glucides (sucres) seront augmentés, ceux en lipides et protéines seront réduits pour maintenir un équilibre de la balance énergétique.
L’hydratation doit être augmentée pour permettre ce stockage. Un diététicien pourra l’adapter au mieux.

La veille du swimrun :

  • 👉 Des quantités « normales » seront à consommer.
  • 👉 Les jours qui précèdent la compétition, l’objectif est également de mettre le tube digestif au repos et pour cela de limiter les aliments pouvant être responsables d’inconforts digestifs :
    • 👉 riches en fibres : produits céréaliers complets, légumineuses, légumes et fruits crus ;
    • 👉 en graisses cuites (beurre, huile, margarine, cuits, fritures, pâtisseries, viennoiseries…),
    • 👉 l’alcool, le jus de fruits;
    • 👉 les épices et aromates (oignon, ail, excès de moutarde, vinaigre…) ,
    • 👉 les laitages au lait entier, certains fromages fermenté (roquefort, bleu…),
    • 👉 les viandes grasses (oie, canard, mouton, morceaux gras de porc et bœuf, charcuteries..), poissons fumés, frits.

Le jour J:

Le petit déjeuner sera idéalement terminé 2 à 3h avant la course, selon le contenu et la tolérance du sportif.

Petit déjeuner déjà testé en amont:

Exemple : une boisson : eau, thé ou café léger ; produit céréalier sous forme de pain ou flocons de céréales ; fruit cuit ou compote, produit laitier : yaourt, fromage blanc, petit suisse ; un produit sucré pour le plaisir confiture ou miel ; un peu de protéines animales en petite quantité si l’on y est habitué : œuf, jambon

Pendant l’attente de l’eau suffit, mais pour les plus stressés une prise de boisson d’attente est possible pour maintenir la glycémie. Toutefois ne pas consommer de produit sucré juste avant, au risque de faire une hypoglycémie réactionnelle.
Évidemment suivant l’heure de départ de la course, s’il y a un départ fictif et de l’attente, il sera nécessaire d’adapter, en fractionnant le petit déjeuner en deux prises, une 2eme prise 1h30 à 1h avant le départ.

Pendant la course :

Et c’est là où tout se complique. Nager avec un sac à dos ? Ceux qui ont essayé savent que ce n’est pas la solution !
Remplir les poches de sa combinaison de gels, pâtes de fruit ou autres produits, oui, mais pour une course qui va durer suivant le format entre 3 et 10h voire plus, ça risque de faire craquer le néoprène ! Alors on apprend à chaque fois à gérer un peu mieux.
L’anticipation est essentielle, il est indispensable d’étudier avant les lieux et la qualité des ravitaillements.

Les risques de déshydratation sont plus importants que sur les autres disciplines car en natation la sensation de soif est moins marquée, et ces portions de natation sont autant de moments où l’on ne peut pas s’hydrater (exception de certaines courses qui se pratiquent en lac de montagne, et notamment à Engadin (Suisse), où je ne me suis pas refusée quelques gorgées d’eau douce !).

En sortie de la natation, la sudation importante dans la combinaison sur les parties run peut accentuer le phénomène.

Mes conseils pour le swimrun

  • 👉 Partir avec une petite flasque d’eau (et penser à la recharger dès que cela est possible)
  • 👉 Idéalement les prises alimentaires devraient être réparties toutes les 20 minutes. Ce qui n’est pas toujours faisable, surtout si l’on est en train de nager. Dans tous les cas éviter les grosses quantités prises d’un coup
  • 👉 Ne pas hésiter à s’arrêter à chaque ravitaillement. Le temps passé (quelques minutes, pour une course qui va durer des heures) sera vite compensé par la suite. A l’inverse ne pas s’arrêter et ne pas récupérer, pourrait faire perdre beaucoup de temps en engendrant de la fatigue
  • 👉 Pour ceux qui utilisent des gels, s’assurer de pouvoir prendre de l’eau ensuite pour les assimiler (de sa flasque, ou à l’approche d’un ravitaillement)
  • 👉 Pour les produits emportés avec soi, prévoir des emballages hermétiques, pensez à partager sa barre avec son binôme
  • 👉 Éviter de consommer des produits que l’on n’a jamais testé auparavant (souvenir du swimrun Côte d’Azur où je me suis laissée allée à goûter une barre qui s’est révélée être à la noix de coco. Un goût que j’ai en horreur et qui m’a suivi pendant des kilomètres, avec des maux de ventre!).
  • 👉 Limiter les boissons de l’effort proposées. On ne les a pas toujours testées auparavant, et sur les ravitaillements elles ne sont pas toujours dosées correctement. Un mauvais dosage pourrait être source d’inconforts digestifs par la suite.
  • 👉 Tout au long de la course il faut donc boire, consommer des glucides comme carburant, mais il faut aussi compenser les pertes en micronutriments et notamment en sodium (perdu dans la sueur)

On évoque souvent les risques de déshydratation, mais beaucoup moins ceux d’hyperhydratation ou hyponatrémie, pourtant fréquents sur les courses d’ultra. Boire de l’eau, plus que que l’on a besoin, avec des apports en sodium insuffisants, pourrait créer un déséquilibre de la natrémie (quantité de sodium dans le sang) engendrant fatigue, vertiges, confusion…

➡️ ne pas boire en excès (entre 400 et 800ml par heure )
➡️ ne pas consommer de pastilles de sel, beaucoup trop concentrées
➡️ consommer quelques aliments salés (cacahuètes salées, « Tuc », chips, saucissons…), en petite quantité (attention ils sont aussi pour certains riches en fibres ou en lipides, augmentant le temps de vidange gastrique)

Sur des swimrun de plus de 4 heures, un apport en protéines est aussi important. Là encore difficile de couvrir les besoins. Prévoir des barres « protéinées », quelques ravitaillements qui en contiennent (charcuterie mais en petite quantité), éventuellement des protéines en gélules.

Mes petits plaisirs, surtout sur les courses « froides » : les petites pommes de terre et le thé chaud !

Anne Laure et Christophe à l’arrivée Engadin 2019

Une fois la course terminée:

Les envies et le ressenti de chacun peuvent être très différents. Certains auraient envie de se jeter sur le buffet, quand d’autres ne pensent qu’à se jeter dans leur lit.

La récupération est une phase à ne pas minimiser. L’entraînement va vite reprendre, et la prochaine compétition vite arriver. Les heures qui suivent la fin de la course vont permettre à l’organisme, si on lui apport ce dont il a besoin, de se réhydrater, de se reminéraliser, aux stocks de glycogène de se reconstituer, de limiter le phénomène d’acidose tissulaire et de « reprotéiner » les fibres musculaires.

À l’arrivée une boisson de récupération est tout à fait appropriée pour apporter les premiers éléments indispensables, sans impacter trop au niveau digestif. Puis des petits repas réguliers, riches en glucides (produits céréaliers, fruits, fruits secs, légumes) accompagnés de matière grasse de qualité et de protéines « maigres » (produits laitiers, volaille, poisson blanc, œuf). Tout en continuant à s’hydrater avec de l’eau (limiter la fameuse bière de « récup »!), idéalement eaux riches en sodium et bicarbonate (St Yorre, Vichy, Badoit…).

Anne Laure Sauzeau

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