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Lake Yard : Quand le swimrun réinvente ses codes au bord du lac de Vaivre

Interview de Mickael Barbé, organisateur d’une épreuve aussi originale qu’exigeante

Le 25 mai 2025, le lac de Vaivre-et-Montoille en Haute-Saône a accueilli une épreuve de swimrun d’un nouveau genre. Le Lake Yard, organisé par Mickael Barbé et le Groupe Triathlon Vesoul Haute-Saône (GTV 70), a proposé un concept à l’instar de la Yotta Xp Vichy où les concurrents enchaînent des boucles swimrun avec des barrières horaires qui se resserrent progressivement. Une approche disruptive qui repense les fondamentaux du swimrun et interroge notre rapport à la performance. Rencontre avec un athlète devenu organisateur audacieux.


Mickael, le Lake Yard vient de vivre sa première édition. Si vous deviez raconter cette journée du 25 mai à quelqu’un qui ne connaît pas le swimrun, comment la décririez-vous ?

Une journée folle à tout point de vue ! D’abord côté météo : du gris, du vent, des vagues sur notre lac habituellement si tranquille. Pas de chance… Mais pour contre-balancer : des sourires encore plus fous de la part de concurrents qui se sont jetés à l’eau à plusieurs reprises puis ont profité de la course à pied pour se réchauffer.

Notre lac est le lieu de rendez-vous des promeneurs et des coureurs, mais voir des nageurs en néoprène en sortir et s’élancer dégoulinants en course à pied, ça sort de l’ordinaire ! Surtout quand, après quelques minutes au ravitaillement de fin de tour, ça repart, encore et encore, de plus en plus fort. On est donc sur du multi-enchaînement natation-course type swimrun, mais avec certaines adaptations pour le rendre encore plus accessible.


Qu’est-ce qui vous a poussé, vous, athlète de swimrun reconnu, à passer de l’autre côté de la barrière pour créer votre propre épreuve ?

Le swimrun dans nos régions éloignées de la majorité des courses, c’est très abstrait pour beaucoup, même parmi les triathlètes qui sont pourtant nombreux. L’idée était de leur faire découvrir, à eux et au grand public, ces multi-enchaînements dans un site qui se prête peu à un véritable swimrun. Le lac est peu profond et, en dehors du début de printemps où il est praticable quasiment sur toute sa superficie – à condition d’aimer l’eau froide –, avec les chaleurs, pas mal de plantes s’installent, limitant les zones de baignade.

Ça reste mon terrain d’entraînement et j’ai senti un réel intérêt pour la discipline dans mon club de triathlon. J’ai proposé l’idée d’une initiation sur ce même format en 2024 pour les licenciés du club. Ça a été très apprécié, et la décision d’en faire une épreuve ouverte à tous a suivi très naturellement.


Le swimrun connaît un développement important en France ces dernières années. Quelle place souhaitez-vous que le Lake Yard occupe dans ce paysage ? Qu’est-ce qui le rend unique selon vous ?

Je n’ai pas la prétention de rendre cette épreuve unique. Mes participations deux années consécutives à la Yotta XP de Vichy ont permis de dessiner les contours de la Lake Yard. Le swimrun est en plein essor en France mais reste très limité dans notre région malgré une très belle épreuve, le Jura Swimrun.

La Lake Yard, je la vois comme une épreuve « familiale », un tremplin entre triathlon et swimrun, un moment convivial où entraide et saine bagarre ont toute leur place.


Vous êtes issu du triathlon avec le GTV 70, un club historique de Haute-Saône. Comment ce passage au swimrun s’est-il fait, personnellement et collectivement au sein du club ?

Comme de nombreux swimrunners dont j’écoute l’histoire, deux reportages TV – « Intérieur Sport » [ndlr, voir le reportage complet ici] avec les pionniers français dont tu fais partie, Jean-Marie, avec François-Xavier, puis celui de Stade 2 – m’ont fait découvrir le mythique swimrun « ÖTILLÖ ».

Ma première expérience de course à La Longue de la Gravity Race Annecy 2016 restera parmi mes plus beaux moments de kiff sportif : un saut dans l’inconnu, l’eau froide, de nuit, attaché à mon meilleur pote avec du matériel – ceintures, longes, mousquetons – trouvé en magasin de bricolage…

Cet esprit d’équipe et la découverte de cette grande « famille swimrun » m’ont beaucoup apporté depuis. J’ai pu goûter au circuit français et à ÖTILLÖ, voyager, découvrir des merveilles de paysages – en compétition et en off, comme le Minorque Swimrun Tour – et de coéquipiers.

Mon « isolement » en Haute-Saône ne m’a pas permis de trouver un coéquipier fixe au long terme, mais j’ai partagé des moments uniques avec une bonne dizaine de partenaires. Et tant pis pour l’absence d’automatismes, je crois qu’en fait j’adore ça !

Au sein du club, ça commence à prendre également : un duo s’est formé et était en Suède cette année, et nous envoyons de plus en plus de binômes sur le Jura Swimrun qui en reviennent enchantés. L’année prochaine s’annonce palpitante avec plusieurs teams à Vesoul à la recherche d’une qualification ÖTILLÖ.


Entrons dans le vif du sujet : vous avez créé un format avec des barrières horaires dégressives. Concrètement, comment cela fonctionne-t-il pour “L’Happy Hour” avec ses 1000m de natation et 5km de course ?

Oh tu sais, on a fait au plus simple ! Le tour du lac fait pile 5 km, le ratio 1 km nage/5 km run semblait équilibré, permettant à chacun de cibler facilement un objectif de « volume ».


Ces barrières qui passent de 55 à 50, 45, 40, 35 minutes… Comment avez-vous calibré ces temps ? Sur quels critères physiologiques ou stratégiques vous êtes-vous basé ?

Là aussi, de façon simpliste et empirique. En observant les capacités et chronos des licenciés du club, j’ai pensé qu’en proposant une première barrière horaire à 1 heure, ça permettrait à tout le monde de faire au moins deux tours – donc 2 km swim et 10 km run minimum. Et puis il fallait imaginer une progressivité et viser un temps maximal de course raisonnable.

En diminuant de 5 minutes à chaque tour, il était envisageable pour les meilleurs d’aller chercher 5 ou 6 tours, ce qui représentait déjà un joli volume, surtout qu’il faut performer davantage à chaque tour.


Vous proposez aussi “Un demi s’vouplait”, un format plus court mais avec des barrières encore plus serrées (30, 25, 20, 15 min). Quel était le raisonnement derrière ce deuxième format ?

Ce format plus court était surtout destiné à rassurer les moins aguerris qui ne se sentaient pas de se jeter à l’eau pour 1000 m plusieurs fois. Mais finalement, il a eu moins de succès que le grand format.


J’ai lu que vous autorisiez tout le matériel (néoprène, plaquettes, pull buoy) mais aussi de venir “en slip de bain”. Cette liberté totale, c’était une position militante ou pragmatique ?

Nous ne voulions laisser personne sans solution. Le matériel ne devait pas être un facteur limitant. À cette période, le lac chauffe vite et est praticable sans combinaison. Le pull buoy rassure les moins « nageurs », les plaquettes permettent une progressivité dans l’effort – certains partaient sans plaquettes pour les premiers tours… Bref, l’idée était de laisser le maximum d’options aux concurrents.


L’option relais – un nageur et un coureur – c’est assez rare en swimrun. Pourquoi avoir fait ce choix ? Quel type de participants cela a-t-il attiré ?

Le GTV est un club historique de la région, mais d’autres beaux clubs comme le GAHS – Groupe Athlétique Haut-Saônois – et le NVN – Natation Vesoul Noidans –, entre autres, existent et l’entente entre tous est excellente. Fort de 41 années d’expérience avec le triathlon de Vesoul, nous avons un format « triathlon relais » qui fonctionne bien, avec chaque club qui envoie ses meilleurs éléments pour former des équipes très solides. L’idée était donc toute trouvée de proposer un relais « nageur-coureur » sur la Lake Yard.


Parlons logistique pure : organiser des départs toutes les heures ou toutes les demi-heures avec chronométrage et contrôle des barrières, c’est un sacré défi. Comment avez-vous orchestré tout ça ?

Avec un téléphone, un micro et deux bénévoles équipés de papier et stylos à l’arrivée ! (rires)

Plus sérieusement, c’était effectivement un point crucial de l’organisation. Pour une première expérience qui se voulait à taille très raisonnable, nous n’avions pas les moyens de prendre un chronométreur professionnel avec puces. Les athlètes étaient « marqués » avec leur numéro, le sas d’arrivée permettait aux bénévoles de relever le numéro, le temps du tour et d’annoncer au concurrent s’il pouvait ou non repartir au tour suivant.

La team d’une dizaine de bénévoles a été extraordinaire, impliquée et concentrée. C’était fluide, sans accrocs, un bonheur.


Combien de participants avez-vous finalement accueillis ? Y a-t-il eu des athlètes de niveau national ou l’épreuve a-t-elle attiré plutôt des locaux et des curieux ?

Ils étaient un peu plus de 60 sur l’ensemble des deux courses. Ça n’est pas énorme mais confortable pour une « première », permettant de tester l’organisation, de conserver une super convivialité et surtout de ne pas faire perdre d’argent au GTV tout en dégageant un petit chèque caritatif au profit d’une association locale.

Majoritairement, ce sont des locaux – départements limitrophes au plus loin – qui sont venus, mais certains avec déjà un niveau très honorable, permettant une belle bagarre en fin d’épreuve.


Côté performances : combien de tours ont réussi à enchaîner les meilleurs sur chaque format ? Y a-t-il eu des abandons ou des éliminations qui vous ont surpris ?

Sur « Un demi s’vouplait », les meilleurs ont fait 4 tours. Sur « L’Happy Hour », la majorité a fait 3 tours, mais certains costauds ont validé la 4ᵉ heure. Ils étaient 5 à prétendre même valider le 5ᵉ tour et partir sur un 6ᵉ, mais en accord avec l’organisation, il a été décidé de tout lâcher sur le 5ᵉ tour, définissant ainsi le classement final.

Course remportée par Hugo Kielwasser, qui fera ses débuts sur le circuit qualificatif ÖTILLÖ l’an prochain avec Louis, son frère – ils ont terminé 4ᵉˢ d’un Jura Swimrun très relevé cette année. Il aura poussé au bout les « jeunes » triathlètes du club qui n’ont pas démérité avec des volumes inhabituels pour eux.


Vous évoquiez l’idée que “les premiers tours permettent de la convivialité pour progressivement laisser place à la bagarre contre le temps”. Avez-vous effectivement observé cette transition dans le comportement des participants ?

La convivialité était clairement au rendez-vous pendant la course, mais aussi entre chaque tour sur l’espace ravitaillement ainsi qu’après la course, où des concurrents sont restés pour aider au démontage du site. Exceptionnel !


Au-delà des chiffres et de l’organisation, quel est le retour le plus marquant que vous ayez eu d’un participant après la course ?

Les sourires de tous, malgré une météo vraiment peu engageante – la crainte de chaque organisateur –, les nombreux remerciements et les envies de revenir sont les meilleurs retours qu’il existe.

Parmi les nombreuses images qui me reviennent : voir un concurrent chercher, entre deux tours, une paire de ciseaux et découper les manches de sa vieille combi de triathlon pour la transformer en combi de swimrun m’a rappelé mes débuts complètement « à l’arrache ». C’était sympa !

J’ai également aimé voir les concurrents dévorer leurs médailles… Je sortais d’une fin de saison 2024 en swimrun où j’avais enchaîné une grosse série de 4ᵉˢ places, un vrai running gag accompagné de son lot de vannes sur la fameuse « médaille en chocolat ». Il ne m’en fallait pas plus pour contacter un chocolatier local dans le but de mettre en avant les 4ᵉˢ de chaque épreuve avec une véritable médaille comestible de 20 cm de diamètre de bonheur !

Il aura été encore plus loin en offrant à chaque concurrent et bénévole un modèle plus petit de cette médaille. Particulièrement généreux, mais je savais où je mettais les pieds : ce chocolatier, je l’avais déjà croisé sur le bateau au départ de… l’ÖTILLÖ Cannes !


Si vous deviez changer une chose pour l’édition 2026 – car j’imagine qu’il y en aura une – ce serait quoi ?

Bien sûr qu’il y en aura une, surtout quand tu croises au Swimrun Côte d’Azur des swimrunners qui t’en reparlent et te demandent la date pour 2026 ! Alors feu : on envisage de faire la deuxième édition le dimanche 17 mai 2026. C’est encore officieux, mais maintenant c’est dit.

Une évolution est à prévoir sur le format. Pour une meilleure lisibilité, nous ne ferons qu’un seul format – sûrement un intermédiaire entre les deux existants – et nous travaillerons encore plus précisément sur les barrières horaires pour offrir un maximum de plaisir à tous.


Ce format n’est pas né en Haute-Saône. La Yotta, qui commence à se diffuser maintenant sur plusieurs sites, est une magnifique tête d’affiche pour ce genre de courses, avec la participation des meilleurs triathlètes et swimrunners français. À mes yeux, plus ce genre de format sera proposé, plus la passerelle entre triathlon et swimrun sera aisée.

En tant qu’organisateur maintenant, comment voyez-vous l’évolution du swimrun en France dans les 5 prochaines années ? Quels sont les défis du développement de cette discipline ?

L’arrivée récente du swimrun au sein de World Triathlon devrait marquer une étape de plus dans l’essor du swimrun, avec peut-être un jour sa présence aux JO. Sa médiatisation ne pourra qu’attirer de nombreux sportifs en quête de défis, de grand air et de paysages à couper le souffle.


Haute-Saône, Vaivre-et-Montoille… Ce n’est pas Annecy ou la Bretagne. Comment comptez-vous faire du Lake Yard un rendez-vous incontournable malgré l’éloignement des grands bassins de pratiquants ?

Certes, la Haute-Saône n’est pas la Haute-Savoie et ses merveilleux lacs, mais nous avons tout de même des lieux qui se prêteraient magnifiquement à la création d’un swimrun, comme la région des 1000 étangs.

Je me dis que l’éloignement des autres courses peut être un point fort pour la Lake Yard. Si ça peut faire de cet événement un préalable pour mettre le pied à l’étrier à certains futurs swimrunners, ça sera déjà une belle réussite.


Si demain un lecteur de Swimrun France, athlète passionné mais qui n’a jamais organisé de course, voulait se lancer, quel serait votre conseil principal ?

S’il est isolé, je lui dirais de se rapprocher d’un club – éventuellement de triathlon – qui a l’habitude d’organiser des événements et connaît les interlocuteurs locaux et les leviers importants pour concrétiser son idée en épreuve. À partir de là, l’envie de partager sa passion fera, à n’en pas douter, le reste.


Pour conclure, quelle est votre ambition pour le Lake Yard à horizon 3-5 ans ? Simplement une belle course locale ou quelque chose de plus grand ?

Faire grandir ce petit événement en une « belle course locale » sera déjà un bel accomplissement. Si de beaux ambassadeurs swimrunners français – et on en a beaucoup – souhaitent passer démontrer l’étendue de leur talent sur nos prochaines éditions, ça sera un plaisir de les accueillir comme il se doit !


Interview réalisée pour Swimrun France – octobre 2025
Propos recueillis par Akuna
✍️: Mickael Barbé
📷 Crédits photos : GTV70/ Hubert Lachat 🎥 GTV70
✍️ relecture Claude
🔗 https://www.facebook.com/GTV70
📓 Archives 👉 https://swimrunfrance.fr/2021/10/12/le-phenomene-backyard-fait-ses-debuts-dans-le-swimrun/👈

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