Compte-rendu de courseCourses

Pousser la porte du mythe : Rockman Swimrun raconté de l’intérieur

Prologue – Aux confins des fjords

Aux confins des fjords norvégiens, là où le froid mord et la nature règne en maître, le Rockman Swimrun se dresse comme le défi ultime pour tout adepte de l’extrême. Bien plus qu’une simple épreuve, c’est une invitation à se mesurer au mythe nordique, une chorégraphie sauvage entre terre et lacs glacés où la complicité de votre partenaire devient votre plus précieux atout. Préparez-vous à l’indomptable : le Rockman incarne la sauvagerie swimrun.


Chapitre 1 – Veillée d’armes à Stavanger

Vendredi 4 juillet 2025, 22 h, nous arrivons enfin au port de Stavanger sous une pluie battante. Marie, mon épouse, et les enfants me déposent avec mon paquetage de swimrunner sur le dos et, après un dernier encouragement, continuent leur route vers le camp de base du Prekeistolen où ils nous attendront à la ligne d’arrivée.

Il fait encore complètement jour. La lumière contraste avec l’immense fatigue et le stress qui m’étreignent.

Demain, c’est d’ici que partira le ferry qui nous conduira au fin fond du Lysefjord. Nous plongerons alors dans les eaux glacées pour débuter notre troisième défi d’ultra-endurance : le mythique Rockman Swimrun. Cette course complètera notre série Magico-Maléfique entamée avec Tom il y a huit semaines.

Ce délire scandinave imaginé par Thor Hesselberg dans le Sud-Ouest de la Norvège – entre fjords profonds et montagnes aussi abruptes que verdoyantes – a été déplacé plus tôt cette année pour le rendre « HARDER & COLDER »… Le titre sans détours de la course annonçait la couleur dès l’inscription quelques mois auparavant.

Rémi, Tom, Michael & Elfie se retrouvent en Norvège

Je vais enfin pouvoir rejoindre mon partenaire et sa compagne Elfie dans leur Airbnb. J’espère y dormir quelques heures après avoir parcouru la Norvège d’Est en Ouest en camping-car.

La route a été longue, parsemée d’embouteillages monstres, de virages sinueux, de moutons égarés et de vomissements imprévus. Mais la beauté brute des paysages entrevus promet déjà un après-course heureux.

Hier, nous avons pu quitter l’étouffante Toulouse en passant miraculeusement entre les annulations de vols dues à une grève. Nos amis bretons Renan et Jocelin n’ont d’ailleurs pas eu cette chance et manqueront demain le départ.

L’épuisement pointe déjà avant même le début du chantier.

Après l’Ultra Côte Vermeille, le boulot a évidemment repris à plein régime, avec notamment une grosse semaine de plus de 70 h juste avant celle du départ.

Sur le plan sportif, j’ai, dans l’intervalle, quand même pris quelques jours de repos total. Ensuite, j’ai réussi à caler quelques courts footings très tôt le matin, et plusieurs séances de CAP que j’aurais aimé plus qualitatives, mais que les épisodes de canicules plombant la France en ce début d’été ont probablement rendues plus délétères que réellement efficaces. Difficile de réimprimer du rythme et de retrouver du tonus en levant les genoux sous 38 °C à l’ombre et en battant des bras dans une eau à plus de 32 °C dans mon habituelle piscine d’entraînement de Blagnac. Le bassin s’est transformé en un véritable bouillon sous la chaleur moite. Une soupe dans laquelle j’ai dû slalomer, lors de quelques séries, entre des dizaines de malheureux baigneurs estivaux à la recherche désespérée d’un îlot de « fraîcheur ».

Ajoutez à cela les insomniantes nuits caniculaires et l’explosion des impératifs familiaux de la fin du mois de juin, inhérents à tout parent : le compte était bon pour sortir la plus mauvaise équation préparatoire en vue d’affronter un tel monument.

Finalement, peu importe tout ça, je suis à Stavanger, nous allons prendre le départ de notre troisième Ultra et je ne suis pas blessé. Elfie est d’ailleurs rassurée que je sois arrivé, sans quoi c’est elle – swimrunneuse accomplie – qui aurait pu me remplacer au pied levé pour accompagner Tom dans l’aventure…

En m’endormant, je pense au lendemain, aux distances apprises par cœur et aux enchaînements. Je me concentre sur des pensées positives, comme je l’avais fait pour nos deux premières courses. « J’ai déjà fait cette distance et je suis avec le meilleur partenaire que je n’ai jamais eu. Tom est en forme et frais comme un saumon. Je pourrai compter sur lui. »

Tom et Elfie ont eu la bonne idée de prendre une petite semaine de vacances avant la course. Ils ont visité les îles Lofoten en amoureux. Et même s’ils ont probablement un peu « donné » sur le plan sportif (nombreuses randonnées et autre session de surf en Arctique), Tom est reposé et acclimaté.


Chapitre 2 – Embarquement pour l’enfer glacé

5 juillet 2025 – Jour de course : L’appel de l’extrême

Samedi matin, jour de course, comme d’habitude je me réveille avant la sonnerie programmée à 3 h 15. Tom est déjà debout pour l’« activation digestive » qu’il décide de réaliser à l’intérieur de l’appartement (il pleut déjà des cordes dehors…). Il sautille et court sur place. Nous prenons le petit-déjeuner en tête-à-tête assez silencieusement. Pas de blagues, pas de rigolades. Je sens que Tom a été éprouvé de me voir arriver si tard hier soir.

Pas de stratégie évidente cette fois-ci à part celle de gérer l’effort, de ne pas se blesser et de ne pas se perdre pour espérer performer. Nous revêtons rapidement nos armures de néoprène dans une chorégraphie bien rodée et nous assurons une dernière fois d’avoir pris tout notre attirail avant de claquer la porte : lunettes, bonnet, pull-boy, ceinture, longe, plaquettes, gels et flasques.

Nous descendons sur le port accompagnés par Elfie. Il fait froid, un rideau de pluie nous sépare les uns des autres et, même s’il fait jour, la luminosité est faible tant la couverture nuageuse est épaisse. Un troupeau de compétiteurs est déjà amassé sur l’embarcadère. On retrouve de nombreux visages familiers. Nous nous lançons dans de franches accolades, ou échangeons quelques mots, voire un simple regard, selon le degré d’intimité et les moments déjà partagés ensemble.

Côté hommes, la densité internationale est élevée : les Suédois Anders Wikmar, Viktor Torneke (vice-champion du monde 2024), Victor Dahl (champion du monde mixte 2022) et Jonas Andersson ; les Tahitiens Thomas Lubin et Cédric Wane ; le Français Alexis Kardes et le Suisse Mickael Montoro ; les Norvégiens Jarand Troen et Martin Jondal Digranes ainsi que d’autres binômes américains et anglais. Au total 19 nationalités sont présentes sur l’événement. Dans tous les cas, ces amis seront des adversaires de qualité dans quelques dizaines de minutes.

Le ferry met du temps à larguer les amarres, et nous commençons à grelotter. Nous nous réfugions vite sous un abribus pour nous protéger du vent qui aggrave le ressenti du froid. Enfin, le moment arrive et nous nous précipitons au chaud dans le bateau. Quarante-cinq minutes s’écoulent le long du Lysefjord. L’ambiance est à la concentration. Nous discutons un peu stratégie avec Tom qui semble plus détendu ; il a l’air déterminé.

Il m’avait confié il y a quelques semaines que s’il ne devait gagner qu’une course de la série, c’était celle-ci : le Rockman. Il avait fait l’assistance de son père Michel il y a quelques années lors d’un triathlon bien connu des sportifs aventuriers et peu frileux : le Norseman. Un Ironman avec de nombreuses similitudes : saut d’un ferry, natation dans un fjord glacial, vélo sur des routes sinueuses et marathon avec un énorme dénivelé technique. Michel ayant dû abandonner – pourtant à quelques kilomètres de l’arrivée – sur hypothermie mêlée d’épuisement, j’avais le sentiment que Tom voulait, quelque part, prendre sa revanche sur cette histoire familiale avec la Norvège.

Le bateau soudain ralentit, nous arrivons enfin au départ. Rapidement, nous enfilons nos indispensables manchettes et fermons les combinaisons. Nous filons vers le pont arrière du bateau où les meilleures équipes sont déjà en position. Nous pensions avoir à négocier notre place avant ce qui serait un départ échelonné, mais après quelques échanges courtois, il semble que les autres binômes aient déjà décidé de nous laisser partir devant. Notre team d’ultrapotes, estimée favorite, est invitée à ouvrir cette première section de swim.

Marcus Barton alias speedy lizard coiffé de sa casquette noire

C’est Marcus Barton, un swimrunneur américain au riche palmarès, qui donnera le départ. Il fait partie de l’organisation et vient chaque année participer ou aider sur l’épreuve.

Il lance le décompte sur sa main droite : 5, 4, 3, 2, 1, O !


Nous sautons. Le froid nous saisit avidement. Nous activons les bras et les épaules pour prendre le plus d’avance possible sur ce premier 700 m de natation. Nous glissons sur l’eau lisse et bleutée du fjord ; le ferry et nos concurrents s’éloignent.

Nous atteignons le quai au pied de la centrale hydroélectrique de Flørli en moins de neuf minutes. Nous grimpons l’échelle d’acier rouillé et, guidés par les hurlements des bénévoles, nous nous engageons dans les 4 444 marches de Flørli, l’un des plus longs escaliers en bois au monde (1,8 km, ~750 m D+).

Les mollets brûlent. Nous alternons “une par une” et “deux par deux” pour ménager les muscles. Certains tronçons se dressent à plus de 50 % ; il faut carrément monter à quatre pattes pour ne pas basculer en arrière. Après 35 minutes d’effort lunaire, nous débouchons sur le plateau rocailleux criblé de petits lacs glaciaires.

Deux jeunes bénévoles, pris de court, improvisent les entrées et sorties d’eau : première natation éclair dans un lac laiteux, puis quelques centaines de mètres de rochers et un deuxième plongeon, plus long et nettement plus glacé. Mes mains engourdies ratent la caisse de bonbons qu’on me tend ; tant pis, la longue section de course qui suit nous réchauffera.

Une piste de gravier monte d’abord vers le point culminant du parcours (850 m) avant de plonger en lacets vers le Lysefjord. Nous filons vite ; toujours personne derrière. À la bifurcation, un sentier rocailleux détrempé nous fait déjà chuter : premier avertissement de la journée.

Première grande traversée du fjord

Après une ultime glissade sur un quai en bois, nous retrouvons Thor Hesselberg et des bénévoles en cirés jaunes. Brève pause hydratation, puis nous sautons pour 1,6 km de fjord à traverser. Tom mène, je profite de son aspiration. À la sortie, près d’une cascade rugissante, je réalise qu’il a volontairement décrit une courbe pour éviter le courant glacial : trajectoire plus longue mais plus rapide, pur instinct de nageur d’élite.

Course roulante et encouragements d’Elfie

Un sentier torrentiel nous hisse jusqu’à un hameau, puis une route descendante déroule les kilomètres les plus rapides de la journée. Sous la pluie battante, aucune envie d’ôter manchettes ou néoprène : le climat local ne pardonne pas. Au prochain virage, Elfie surgit en voiture, fenêtres ouvertes, nous hurlant dessus pour maintenir la cadence avant de filer plus loin et recommencer la manœuvre.

Je trébuche à répétition ; la fatigue préalable entame ma lucidité. Tom, plus frais, aperçoit même un phoque sur un rocher en contrebas – le temps que je lève les yeux, il a disparu dans un cercle d’eau.

Quatrième natation & Goat Climb

Toujours seuls en tête, nous abordons une deuxième traversée du fjord (à nouveau 1,6 km) pour rejoindre la rive nord. Sortie d’eau, salutation rapide à Thor : “Hey guys, you like Rockman?” – “Yes, we like it!” mâchonnons-nous, lèvres engourdies.

Place au Goat Climb : 4 km et 550 m de D+ sur des sentiers ruisselants où chaque pierre roule ou glisse. L’allure devient grotesque ; penchés tels des bossus, nous essayons de nous alimenter sans nous vautrer. Tout là-haut, un petit lac noyé de brume nous inflige 500 m de natation aveugle ; la trace GPX de Tom sur sa montre nous évite la perdition.

Nous ressortons frigorifiés mais solidaires ; il reste une longue course à pied (≈ 9 km / 500 m D+) avant le ravitaillement du Pulpit Rock


Chapitre 6 – Pulpit Rock : le balcon des dieux

Nous attaquons la sixième course : moins de 9 km, mais 500 m de D+. La pluie n’a jamais cessé ; tout est patinoire. Les racines piègent nos pieds, la tourbe nous engloutit parfois jusqu’aux genoux ; je perds même une chaussure que je repêche in extremis. Mon pull-buoy calé aux lombaires m’évite deux mauvaises chutes.

Tom me propose la longe ; j’accepte sans rechigner. Nous tiraillons la corde pour maintenir l’allure jusqu’au seul ravitaillement accessible deux fois : le chemin touristique du Pulpit Rock (Preikestolen).

Le Pulpit Rock : un passage mythique

Pulpit Rock sous la Brume

Coca forcé – je suis au bord de l’hypoglycémie – et nous filons vers la falaise emblématique. Escaliers de granit, blocs lissés par des millions de semelles ; nous zigzaguons parmi les randonneurs en capes de pluie. Le plateau de 25 × 25 m surgit… ou plutôt devine-t-on la dalle dans la purée de pois : visibilité < 15 m. Deux bénévoles photographient, notent notre dossard ; demi-tour immédiat.

Sur le retour, nous croisons enfin nos concurrents :

  • Victor Dahl (SWE) & co. à ~1 min 30
  • Les Tahitiens Thomas Lubin / Cédric Wane dans leurs pieds
  • Les Norvégiens Martin / Jarand quelques secondes derrière
  • Anders Wikmar & Viktor Torneke ferment ce top 5 en embuscade

En 3,4 km aller-retour, c’est serré ; notre marge n’est que d’1,5 à 2 km. Motivation maximale : chaque pas sans les voir, c’est deux pas d’avance. Nous re-ravitaillons, puis plongeons dans la descente technique de 2,4 km vers le petit lac suivant.

Perdition dans la brume

Brouillard dense ; le balisage se noie. Une minute d’errance, jurons, puis une rubalise salvatrice. Au bord du lac, on ne distingue aucune sortie ; “tout droit”, clame la mémoire du tracé. Nous nageons, Tom vérifie la trajectoire sur sa montre : nous voilà assis sur nos pull-buoy, perdus dans un no-mans-land liquide, à rigoler de l’absurdité du swimrun. Heureusement, la rive opposée surgit vite.

Pas de ravito en vue ; un cri perce le brouillard : « Come here, boys ! » Vingt mètres à gauche, un bénévole camouflé dans la verdure. Banane, bonbons, et on repart.

Tom Ralite

Tom y croit à peine, mais je souffle : « C’est gagné, reste propre. » Il refuse le relâchement et appuie encore – corde détachée, je descends à ma limite. Lui prend dix mètres, puis se vautre spectaculairement, se relève, repart : il veut cette victoire.

Chapitre 7 – La dernière ligne droite

Le dernier lac apparaît en contrebas ; Tom se détend : « Impossible que ça revienne. » Dix minutes de glissades et nous plongeons pour la dernière natation. La sortie n’est pas visible ; aux deux-tiers, un groupe de silhouettes nous fait signe dans l’angle nord-ouest. Virage à 90 °, derniers coups de bras.

Nous nous relevons pour gravir “the hill” final – clin d’œil à Ötillö – et franchissons l’arche sous les hurlements d’Elfie, Marie et des enfants. Pluie battante, embrassade trempée : sensation d’irréel.

Chapitre 8 – Une victoire légendaire

Première équipe 100 % française à inscrire son nom au palmarès du Rockman ! 7 h 40 de lutte « Harder & Colder », 35 km de sauvagerie, 4 444 marches, deux fjords traversés, zéro répit.

Je remercie Tom, ultrapote au talent physique et mental énorme, pour cette trilogie “Magico-Maléfique”. Le swimrun est décidément le plus beau sport du monde. Place à la découverte tranquille de la Norvège…

* Nicolas Remires avait remporté l’édition 2022 avec l’Espagnol Francesc Lanuza Gimeno.


Épilogue – Rockman Swimrun 2025 : les faits saillants

  • Nom de l’événement : Rockman Swimrun
  • Pays hôte : Norvège
  • Localisation emblématique : Le Lysefjord, avec un départ de Stavanger
  • Date : 5 juillet 2025
  • Parcours 2025 :
    • 35 K Swimrun (épreuve reine)
    • 6.5 K Swim
    • 2500 m D+
  • Conditions : « COLDER and HARDER than ever before ! » – eau glaciale, terrain rocheux, pluie fréquente
  • Points clés : saut du ferry ; 4 444 marches de Flørli ; passage au Pulpit Rock ; Goat Climb (550 m D+ sur 4 km)
  • Organisation : Thor Hesselberg & RYGER SPORTS AS, avec Marcus Barton
  • Participation : 19 nationalités
  • Performance française : Rémi & Tom deviennent la première équipe 100 % française victorieuse du Rockman (2025)

🔗 https://www.rockmanswimrun.com/
IG : @tomralite.swim.run.tri @remi.docteam
🧠✨✍️ NotebookLM/ O3 / Rémi Menut
🎥 📷 @escobedoheart / Rockman & Rémi Menut
📓 Archives 👉 https://swimrunfrance.fr/2024/08/02/de-freres-a-freres-darmes-notre-odyssee-au-rockman-swimrun/ 👈


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