Edito

Polytechnique & Pastels

Quand la rigueur rencontre l’improvisation au cœur des vagues suédoises.

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🇫🇷 « Opposés et complémentaires, la nature va t’elle être un révélateur d’âme ou causer notre perte ! » Il pose la question comme on jette un galet dans l’eau froide, sans attendre d’écho, simplement pour rompre le murmure des mâts. Louis de Valescourt, major de Polytechnique, inspecteur des finances porté impeccable par le vent d’Est, vérifie une dernière fois le nœud de sa puce chronométrique. Rien ne dépasse : ni cheveu, ni statistique. Autour de lui, l’aube suédoise étire des rubans d’étain sur l’archipel, promettant un terrain de jeu à l’exactitude.

À deux pas, Antonin-Julien, le beau‑frère, sourire en veille permanente, fredonne un standard de Coltrane dont il ne se rappelle que le souffle. Son sac n’est pas fermé ; un carnet détrempé, trois pastels, une flasque de maté. Louis l’observe et compte silencieusement les insuffisances logistiques : cinq au premier regard, sept si l’on pousse la loupe. Pourtant il envie cette brèche dans la cuirasse, ce vide qui fait caisse de résonance.

Antonin‑Julien — l’état civil penche pour Antonin, la tribu artistique pour Julien — esquisse un temps de charleston pieds nus, tatouage de poulpe remontant le mollet. Leur contraste est une équation sans inconnue : réussite stéréophonique d’un côté, improvisation polymorphe de l’autre.

Normalité bancale. Le briefing officiel égrène la liturgie : 75 km au total, dont 10 km de nage, 65 km de course, 24 îles à sauter comme des cailloux, autant de transitions chronométrées. Louis classe ces chiffres dans un tableau mental, colonne « maîtrisable ». Antonin‑Julien fredonne un thème de Mingus, lui greffe des silences syncopés. L’arche de départ gonfle, orange hypertrophié ; la foule applaudit ; les puces GPS clignotent comme des lucioles disciplinées.

Le premier plongeon dans l’eau à douze degrés claque la poitrine de Louis. Diastole, systole… oubliées : le froid dilate l’instant jusqu’au vertige. Dans la brume, il croit apercevoir, sous la surface, les gradins d’un amphithéâtre d’amphores comptables : des colonnes de chiffres dansent en robes de méduse, bilans babyloniens où les gains se changent en algues, les pertes en corail. Il secoue la tête ; l’image colle à la rétine comme une note de bas de page irrésolue.

Premier portail. Ils sortent sur la grève luisante de Vindalsö. Le vent nord‑est laboure la sueur, transforme chaque inspiration en rasoir. Antonin‑Julien, incapable de marcher droit sans battre la mesure, tape deux fois sur le torse de Louis : boom‑tchak. « Respire le swing, pas le stress ». Les mots sont bulles mais percent la carapace. Louis reprend, mais la cadence prévue file déjà entre les racines et les pierres moussues. La nature n’est plus un terrain, elle vire au chef d’orchestre intransigeant.

Une rafale apporte l’odeur métallique des orages. Le parcours officiel bifurque ; deux flèches, orange réglementaire et mauve improvisée. Antonin‑Julien choisit le mauve sans réfléchir. Louis hésite, sent une fissure dans son protocole : première faille, première digression jazz. Ils courent désormais dans le paysage, pas sur lui. Le sol s’incline d’un degré absurde, l’horizon s’allonge comme un trombone déplié, et les troncs épais se mettent à bourdonner des accords de contrebasse. Ils passent crème la barrière horaire en fredonnant l’air de Coltrane idiot du départ.

Episode d’exploit brut. Arrive Ornö, la bête noire : 18 km de single track, toboggans de granite, montées à 15 %. Les cuisses de Louis brûlent ; la lactate threshold franchit ses propres seuils. L’athlète modèle vacille, le triumvirat macro‑micro‑chrono vole en éclats. Chaque foulée martèle un rappel : la réussite est un concept urbain, ici règnent les règnes minéral et végétal. Antonin‑Julien, pourtant plus léger, tangue aussi ; son jazz tourne free, hurle des harmoniques rauques ; mais il sourit toujours, dents fendues par la pluie.

Au sommet d’une crête, la tempête libère ses tambours. La mer se couvre d’écume noire, et le monde devient négatif photographique. C’est là que Louis reçoit la leçon brutale : une vague frappe le rocher, les projette tous deux contre une paroi, déchire sa combinaison à la hanche. Sang tiède, eau glacée, salive mêlée — impossible de distinguer douleur et paysage. Quand il rouvre les yeux, Antonin‑Julien lui tend la main. Dans son poing, un caillou fissuré, parfaitement imparfait.

« Wabi sabi, frangin. La beauté d’être cabossés par l’usage ». Il explique, entre deux rafales, l’esthétique japonaise de l’inachevé, de l’éphémère, de l’imparfait. Louis écoute, mi hagard, mi furieux. Le concept s’insinue comme de l’iode dans une plaie : piquant, purifiant. La nature n’est pas un support pour son exploit ; c’est une maîtresse ancienne qui l’a façonné, l’a poli, puis l’a lâché ici pour vérifier le travail.

Parallèle Pig Swim élargi. La section nage suivante mesure 1400 m, houle latérale. Chaque vague semble vouloir réarranger la syntaxe de leurs vies. Louis, désormais poreux, sent ses bras exécuter une chorégraphie inconnue : pas exacte, pourtant juste. Antonin‑Julien cadence la respiration à la manière d’un chabada aquatique. Ils deviennent métronome liquide, duo d’accordéons sans soufflet. Les portes du réel grincent, rien ne tombe — tout se déplace.

Sur Langbaling, îlot minuscule, ils croisent une équipe suédoise en hypothermie. L’urgence rebranche les circuits rationnels de Louis. Il serre des mains bleues, compte, évalue, rationne. Le contraste rejaillit : l’homme des formules exécute sa partition de secours, l’artiste improvise des mots‑couvertures. Leurs deux univers, pour un instant, s’imbriquent comme pignons contraires mais solidaires. Mélancolie d’être utiles, absurdité de l’aléa.

Retour altéré. Les derniers kilomètres sur Utö se déroulent sous un ciel redevenu clair, presque cru. Les officiels annoncent 10 h 24 d’effort — loin du podium, loin de l’abîme. Louis, jambes de verre, suit à présent le tempo d’Antonin‑Julien, non par incapacité, mais par volonté de laisser une marge à l’inattendu. La tristesse douce de la fin le frôle : plus rien ne sera comme avant, pourtant rien n’a changé aux yeux des tableurs.

Ils franchissent l’arche d’arrivée, mains jointes. Le photographe Akuna déclenche et immortalise leur danse de pingouins ivres ; les chiffres s’affichent ; les félicitations tombent comme pluie tiède. Mais le silence intérieur s’est épaissi, velours sombre où résonnent encore les colonnes de chiffres‑méduses, les pins jazzmen, le caillou fissuré.

Louis le glisse dans sa poche déchirée. Une fissure supplémentaire, un souvenir en négatif. Peut‑être le posera‑t‑il un jour sur son bureau de l’Inspection des finances, entre deux dossiers d’optimisation fiscale, pour se rappeler que l’optimisation ultime est d’accepter le dérapage.

« La nature m’a tout pris et appris», pensa-t-il en regardant l’horizon rougeoyant depuis l’île d’UtÖ.

🧠✨✍️ Chatgpt O3 / Akuna
📷 Chatgpt O3

🇬🇧 Where discipline dances with spontaneity in Sweden’s untamed waters.

“Opposites and complements—will nature reveal our souls or seal our doom!”

He poses the question like skipping a stone across cold water, expecting no echo, simply to break the murmur of masts. Louis de Valescourt, Polytechnique valedictorian, finance inspector carried flawlessly by the east wind, checks one last time the knot of his timing chip. Nothing out of place: not a hair, not a statistic. Around him, the Swedish dawn stretches pewter ribbons across the archipelago, promising a playground for precision.

Two steps away, Antonin-Julien, the brother-in-law, smile on permanent standby, hums a Coltrane standard he only remembers by its breath. His bag hangs open; a waterlogged notebook, three pastels, a flask of maté. Louis observes him and silently counts the logistical shortcomings: five at first glance, seven under scrutiny. Yet he envies this breach in the armor, this void that serves as a resonating chamber.

Antonin-Julien—civil records lean toward Antonin, the artistic tribe toward Julien—sketches a Charleston step barefoot, octopus tattoo climbing his calf. Their contrast is an equation with no unknowns: stereophonic success on one side, polymorphic improvisation on the other.

Wobbly normalcy. The official briefing recites the liturgy: 75 km total, including 10 km swimming, 65 km running, 24 islands to skip like stones, as many timed transitions. Louis files these numbers in a mental spreadsheet, column “manageable.” Antonin-Julien hums a Mingus theme, grafting syncopated silences onto it. The starting arch swells, hypertrophied orange; the crowd applauds; GPS chips blink like disciplined fireflies.

The first plunge into twelve-degree water slaps Louis’s chest. Diastole, systole… forgotten: the cold dilates the moment to vertigo. In the mist, he thinks he glimpses, beneath the surface, the tiers of an amphitheater of accounting amphorae: columns of figures dance in jellyfish robes, Babylonian balance sheets where profits turn to algae, losses to coral. He shakes his head; the image sticks to his retina like an unresolved footnote.

First portal. They emerge onto the gleaming shore of Vindalsö. The northeast wind plows through sweat, turning each breath into a razor. Antonin-Julien, incapable of walking straight without keeping time, taps twice on Louis’s chest: boom-tchak. “Breathe the swing, not the stress.” The words are bubbles but pierce the shell. Louis resumes, but the planned cadence already slips between roots and mossy stones. Nature is no longer terrain—it’s turning into an uncompromising conductor.

A gust brings the metallic scent of storms. The official course forks; two arrows, regulation orange and improvised mauve. Antonin-Julien chooses mauve without thinking. Louis hesitates, feels a crack in his protocol: first flaw, first jazz digression. They now run within the landscape, not over it. The ground tilts at an absurd angle, the horizon stretches like an unfolded trombone, and thick trunks begin humming double bass chords. They breeze through the time barrier humming that idiotic Coltrane tune from the start.

Raw exploit episode. Enter Ornö, the black beast: 18 km of single track, granite slides, 15% climbs. Louis’s thighs burn; the lactate threshold crosses its own thresholds. The model athlete wavers, the macro-micro-chrono triumvirate shatters. Each stride hammers home a reminder: success is an urban concept, here reign the mineral and vegetal kingdoms. Antonin-Julien, though lighter, also staggers; his jazz turns free, screaming hoarse harmonics; but he still smiles, teeth split by rain.

At the summit of a ridge, the storm unleashes its drums. The sea covers itself with black foam, and the world becomes a photographic negative. This is where Louis receives the brutal lesson: a wave strikes the rock, hurls them both against a wall, tears his wetsuit at the hip. Warm blood, icy water, mixed saliva—impossible to distinguish pain from landscape. When he reopens his eyes, Antonin-Julien extends his hand. In his fist, a cracked pebble, perfectly imperfect.

Wabi sabi, brother. The beauty of being dented by use.” He explains, between gusts, the Japanese aesthetic of the unfinished, the ephemeral, the imperfect. Louis listens, half dazed, half furious. The concept seeps in like iodine in a wound: stinging, purifying. Nature isn’t a platform for his exploit; it’s an ancient mistress who shaped him, polished him, then released him here to check her work.

Extended parallel swim. The next swimming section measures 1400 m, lateral swell. Each wave seems intent on rearranging the syntax of their lives. Louis, now porous, feels his arms execute an unknown choreography: not exact, yet right. Antonin-Julien paces their breathing like an aquatic scat. They become liquid metronome, accordion duo without bellows. The doors of reality creak, nothing falls—everything shifts.

On Langbaling, a tiny islet, they encounter a Swedish team with hypothermia. The emergency reconnects Louis’s rational circuits. He grasps blue hands, counts, evaluates, rations. The contrast resurfaces: the man of formulas executes his emergency score, the artist improvises word-blankets. Their two universes, for an instant, mesh like opposing but united gears. Melancholy of being useful, absurdity of chance.

Altered return. The final kilometers on Utö unfold under a sky turned clear, almost raw. Officials announce 10 h 24 of effort—far from the podium, far from the abyss. Louis, legs of glass, now follows Antonin-Julien’s tempo, not from inability, but from willingness to leave room for the unexpected. The gentle sadness of endings brushes him: nothing will ever be the same, yet nothing has changed in the eyes of spreadsheets.

They cross the finish arch, hands joined. Photographer Akuna clicks and immortalizes their drunken penguin dance; numbers display; congratulations fall like warm rain. But the inner silence has thickened, dark velvet where the jellyfish-figure columns still resonate, the jazz pines, the cracked pebble.

Louis slips it into his torn pocket. One more crack, a memory in negative. Perhaps he’ll place it one day on his Finance Inspection desk, between two tax optimization files, to remember that ultimate optimization is accepting the skid.

“Nature has taken everything from me and taught me everything,” he thought, gazing at the reddening horizon from the island of UtÖ.

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