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Des fjords aux lagons : Le swimrun s’invite en Polynésie

Ma rencontre avec Ariihau Richard Tuheiava lors de la manche de Coupe du Monde Engadin 2023 fut une révélation. Ses yeux pétillaient d’une étincelle enfantine, témoignant de l’harmonie parfaite entre le swimrun et sa terre natale. Originaire de Tahiti en Polynésie française, Ariihau incarne l’esprit même de ce sport, rappelant les origines du swimrun dans l’archipel de Stockholm.
Animé par sa passion pour le sport et son désir de créer des liens, Ariihau s’est lancé dans l’aventure de fonder une communauté tahitienne de swimrun. Son approche, bien que similaire à celle d’autres communautés florissantes à travers le monde, se distingue par sa “relation affective fusionnelle avec l’élément-Terre, qu’il considère comme sa Mère Nourricière“. Bienvenue, Ariihau et la communauté tahitienne, dans cette belle aventure collective qu’est le swimrun !

A] 📍Swimrun France: Ariihau, peux tu nous présenter brièvement ton parcours et ce qui t’a conduit à fonder cette nouvelle communauté de swimrun à Tahiti ?

Ariihau Richard Tuheiava: Ia orana, Dans le cadre d’une démarche personnelle de reconversion professionnelle entamée en 2020, pendant la pandémie Covid-19, j’avais décidé de reprendre très sérieusement ma santé et ma forme physique et émotionnelle en mains. J’ai créé un programme de coaching spécifique, dans le cadre de ma nouvelle activité professionnelle en parallèle.
Ce faisant, j’ai appris qu’une poignée d’amis sportifs et moins sportifs se rejoignait tous les midis sur la côte Ouest de l’île de Tahiti, pour y faire des sessions de nage en eau libre en groupe. Je venais alors de rejoindre la team “Lunchtime Swimming Experience Tahiti”, qui m’a acceptée volontiers.

Ariihau Tuheiava

Certains amis de la team avaient testé la course de swimrun XTerra Aremiti de 2022 sur l’île soeur voisine (Moorea), et la team a ainsi organisé des sessions de swimrun libres sur Tahiti entre nous. La magie a opéré… Je me suis passionné par ce sport sans même savoir d’où il venait, mais juste naturellement. Nous avons renouvelé les sessions, ensuite diversifié les sites de pratique, et une communauté “swimrun” venait de naître…

La préparation de cette communauté à participer à l’édition 2023 de la course XTerra Aremiti Swimrun sur l’île voisine, à nouveau, a été le “propulseur”. Un groupe Facebook était créé, des sessions d’entraînements swimrun dans divers endroits de l’île de Tahiti étaient programmées, et attirait toujours plus d’adeptes. Je décidais alors de m’inscrire à la course internationale de swimrun d’ÖTILLÖ à Silvaplana en Engadine (Suisse) en juillet 2023, juste après ma participation à la course XTerra Aremiti Swimrun 2023 de Moorea. L’expérience était énorme pour moi, je m’étais émerveillé (malgré l’eau glaciale…) et j’ai fini la course honorablement, pour ma première expérience.

Deux amis Polynésiens triathlètes et semi-marathoniens de très haut niveau ont décidé de suivre mon initiative, à l’occasion de courses auxquelles ils étaient déjà inscrits en France (Marathon du Mont Blanc, XTrerra Triathlon France), et se sont essayé pour la première fois aussi au format ÖTILLÖ World Series de Silvaplana (Engadine): ils sont arrivés troisièmes sur le Podium !, et se sont qualifiés aussitôt pour le championnat du monde de swimrun ÖTILLÖ en septembre 2023 à Sandham (Suède)…

Au retour à Tahiti, l’effet conjugué de cette communauté qui me suivait dans mon périple audacieux, ajouté au classement soudain de MM. Cédric WANE et Thomas LUBIN et leur qualification au championnat du monde de swimrun ÖTILLÖ en Suède, a attiré les regards de la jeune communauté de swimrunners à Tahiti.

Cédric WANE et Thomas LUBIN

Le coup était parti, l’engouement s’est renforcé.

B] 📍SRF : Quels sont les principaux éléments de l’identité et de la philosophie de votre communauté swimrun tahitienne ? Quelles sont les valeurs clés que vous souhaitez transmettre ?

ART: Culturellement, notre Peuple océanien a une relation mystique, intrinsèque et identitaire avec l’Océan, et les éléments naturels qu’il déclenche, accompagne ou apaise. Il a aussi – historiquement et identitairement – une relation affective fusionnelle avec l’élément-Terre, qu’il considère comme sa “Mère Nourricière”, source de Vie pour toute l’humanité. Chaque pratiquant(e) de Swimrun originaire de Polynésie détient déjà en lui/elle les germes de cette approche autochtone et ancestrale, ou en a forcément entendu parler. 

La communauté swimrun Tahitienne est fortement ancrée sur ces piliers de la culture de notre Pays, et inclue ainsi parmi ses valeurs celles qui reflètent plus génériquement le Peuple polynésien dans toute sa diversité et son intégralité: hospitalité, bienveillance, liberté, entraide, partage, respect, plaisir/divertissement et – celle qui me tient particulièrement à coeur – émerveillement.

C] 📍SRF : Tahiti fait partie d’un vaste archipel océanique, tout comme le swimrun est né dans l’archipel de Stockholm. Quels parallèles voyez-vous entre ces deux environnements insulaires ?

ART: En premier, le respect et la considération envers l’élément liquide océanique, propres à tous les peuples ayant pour base de vie un écosystème archipélagique. Il est rarissime voire impossible qu’historiquement, et culturellement, les peuples vivant en milieu insulaire et archipélagique ne se retrouvent pas dans cette relation intrinsèque avec l”Océan et n’accordent pas, à des degrés certes différents, leur même respect à cet élément naturel.

Le sens du défi humain et l’instinct de survie et de résilience face aux éléments, tout en respectant ces derniers. Il y a d’ailleurs aussi l’utilisation du milieu océanique comme terrain de prédilection, non pas seulement comme source d’approvisionnement en ressources vitales, pour y établir des aires culturelles de préservation de ces ressources, ou encore des activités marines sources de transmission de valeurs voire de pratiques sportives.

En Polynésie française, la pratique de la course de va’a (pirogues à balanciers) est une discipline reine au niveau mondial, et la célèbre course internationale Hawaiki Nui Va’a consiste à relier 3 îles montagneuses par la haute mer à la force des bras en trois étapes humainement difficiles à accomplir…

Il se dit aussi que le berceau de la pratique du surf est en Polynésie française, autrefois une discipline de divertissement réservée aux notables des chefferies Polynésiennes, et devenue une discipline sportive Olympique désormais, Tahiti accueillant les épreuves olympiques de surf 2024 dans quelques semaines.

D] 📍SRF : Comment l’environnement naturel de Tahiti, avec ses paysages volcaniques, ses lagons et ses récifs, influence-t-il la pratique et l’expérience du swimrun pour vos athlètes ?

ART : La pratique du swimrun en Polynésie française, hormis les contraintes sportives en terme d’endurance physique, de résistance mentale et les phases à risques potentiels (transitions), est très agréable en règle générale. Elle se déroule en lagons, en rivières (très peu voire pas du tout en lacs), avec de l’eau cristalline et d’une qualité excellente, des paysages verdoyants ou mythiques à couper le souffle, et un niveau d’acceptabilité sociale élevé de la part de la communauté Polynésienne.

Les températures d’eau oscillent entre 26 et 30 degrés Celsius, ce qui rend les sessions de nage très agréables. L’ensoleillement est assez important, et ces éléments militent pour une tenue et un matériel de swimrun plutôt flexible bien que nécessaire. Le nombre de nageurs en club, de triathlètes et de pratiquants de Cross-fit en Polynésien étant assez important, le pas est très vite fait pour se tester à cette discipline hybride, semi-liquide semi-trail, qui semble connaître un engouement réel.

E] 📍SRF : Tahiti fait partie d’un vaste archipel océanique, tout comme le swimrun est né dans l’archipel de Stockholm. Quels parallèles voyez-vous entre ces deux environnements insulaires ?

ART: Amoureux de l’Océan, révérence et hommage indirect – à travers cette discipline sportive – à la relation intrinsèque et identitaire entre l’homme et l’élément naturel marin, le respect de l’environnement promu indirectement par cette pratique sportive à vocation écologique, etc. Les points communs sont nombreux. J’ai décidé de m’inscrire aussi à une course mythique de swimrun en Norvège, appelée la “Rockman Swimrun”, connue du monde du swimrun comme l’une des plus difficiles et les plus épiques, mais moins pour avoir décidé – c’est cela qui m’intéresse – de se baser sur une légende locale mise à l’honneur à travers l’appellation du héros donné à cette course.

La symbolique de cette course est très puissante, et attire une catégorie de swimrunners encore plus en quête de renouveau intérieur, d’introspection et de dépassement de soi. J’aurais d’ailleurs l’honneur de partager l’accomplissement de cette course prévue le 13 Juillet 2024 avec le coach Nicolas REMIRES comme binôme éminent, au titre de la team ENVOL SWIMRUN dont il est le fondateur.

Il est fort possible aussi que dans les prochaines années, notre délégation Tahitienne s’essaye plus activement au circuit de courses swimrun ÖTILLÖ et aille en Suède pour participer à celle au format 15K (Utö) et regarder la course du championnat du monde à Sandhäm, pour observer davantage aussi les similitudes entre les deux communautés archipélagiques Suédoise et Polynésienne.

F] 📍SRF : Quelles sont les spécificités culturelles tahitiennes que vous souhaitez mettre en avant au sein de votre communauté swimrun ?

ART: Notre relation intrinsèque à l’Océan d’une part, notre relation fusionnelle avec la Terre-Mère d’autre part, les deux piliers de notre philosophie environnementale et repères de notre identité insulaire depuis des millénaires. Le déploiement additionnel de l’identité culturelle des Polynésiens à travers cette pratique sportive est source d’éveil de conscience (résilience), car il replace l’émerveillement ainsi que le triptyque “Divinité-Terre-Homme” – ciment de la pensée Polynésienne – au coeur de la pratique du sport.

G] 📍SRF : Comparé aux conditions de l’archipel de Stockholm, quels sont les principaux défis liés au climat tropical et à la mer chaude que rencontrent les athlètes swimrun à Tahiti ?

ART: Si l’eau est froide, voire glaciale dans l’archipel de Stockholm lorsque l’on pratique le swimrun, il n’en n’est pas de même en Polynésie où les températures les plus basses, même en cas d’intempéries, restent au-dessus de 24-26 degrés Celsius. En revanche, la courantologie, la diversité de la faune marine (méduses,  prédateurs marins, etc.) et les évènements cycloniques périodiques en Polynésie française peuvent constituer, dans des proportions raisonnables, des contraintes acceptables.

H] 📍  SRF : Quels types d’événements ou d’activités organisez-vous pour favoriser l’esprit de communauté et le partage au sein de votre groupe de swimrunners tahitiens ?

ART: Nous dynamisons l’esprit de communauté par une organisation régulière de sessions de swimrun libres hors-club sportif, autour de l’île de Tahiti. Par l’animation efficace aussi d’une page Facebook dédiée à la team Lunchtime Swimming Experience Tahiti (LSE), assurée par une poignée d’amis. Par l’animation distincte d’un groupe secret Facebook dédié, où les membres peuvent disposer du calendrier des sessions libres comme faire la promotion des prochaines courses officielles à venir, etc.

I] 📍 SRF : Quels sont vos objectifs à long terme pour cette communauté swimrun tahitienne ? Comment souhaitez-vous la faire rayonner au-delà des frontières de l’archipel ? 

ART: De retour de Silvaplana (Engadine) en juillet 2023, au terme de ma course de swimrun ÖTILLÖ (15K), j’ai eu pour vision de créer une course de swimrun en Polynésie française qui relèverait de l’ultra-swimrun (70-75Km), reliant les deux extrémités de la Presqu’île de Tahiti: une course au “Te Pari”…basée sur la légende du héros local “Honoura”, mettant à l’honneur les valeurs de préservation de la ressource naturelle (aires marines gérées, éco-gouvernance) de la population locale résidant à Teahupoo et à Tautira, les deux communes opposées.

Cette vision a fait son chemin. Nous avons ainsi décidé, avec une poignée de swimrunners locaux et confirmés, de créer le premier club de Swimrun polynésien intitulé “Varua Swimrun”, agréé par la Fédération Tahitienne de Triathlon et habilité donc à délivrer des licences sportives et à organiser des activités assurées. Le principal objectif de ce club est de porter le projet de nouvelle course internationale d’ultra-swimrun à partir de 2025, autour de la vision précitée, et avec le concours technique de la Team Envol Swimrun dirigée par Nicolas REMIRES.

J] 📍 SRF : Selon vous, en quoi l’insularité et le lien à la nature, communs aux archipels de Stockholm et de Tahiti, peuvent-ils enrichir la pratique et l’esprit du swimrun ?

ART: Le berceau du swimrun est l’archipel de Stockholm en Suède. Il est donc né d’une communauté – nous l’avons vu ensemble plus haut – respectueuse de l’océan, de la puissance des éléments naturels et de leur imprévisibilité. Il est né aussi d’une volonté de mettre à défi les potentialités physiques de l’être humain (défi) et sa capacité à respecter sa place dans l’écosystème naturel, finalement dans l’Univers. Cette insularité et ce lien à la nature sont, à mes yeux, les garants de l’intégrité morale de ce sport et des valeurs sur lesquelles il s’est fondé pour exister. La dimension humaine, la pleine conscience de la relation intrinsèque de l’individu à la Nature, et l’aventure identitaire que doit recouvrer l’exercice de cette pratique sportive, sont les fondamentaux de notre vision du swimrun depuis Tahiti. Mauruuru (Merci) !

FB : @TuheiavaAriihau
FB group : SWIMRUN FANS – TAHITI
✍️ Ariihau Richard Tuheiava / ✍️ Akuna
📷 Akuna / OtillO / Ariihau Richard Tuheiava
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