Edito

Êtes vous IN ou EX ?

À l’aube d’une fin de saison swimrun bien remplie, je me pose toujours la question suivante « quel attrait exerce ce sport, (ou cette activité physique), sur notre rapport au monde ?». De curiosité venue de Suède, le swimrun fait partie de plus en plus du paysage français des sports d’endurance. Ayant été tour à tour triathlète, traileur et maintenant swimrunner, je différencie clairement les différences entre ces disciplines. Or, je ne perçois que de façon fugace les conséquences fondamentales de cette pratique sportive singulière sur la connexion corps esprit et notre sensibilité au monde.

Une des première réflexion que je me suis faite au début fut de me dire que sauter dans l’eau tout habillé, revenir sur terre et d’aller de nouveau à l’eau était franchement très régressif. Clairement je retrouve une âme d’enfant, pour qui tout est nouveau, tout est jeu. Il y a un certain sens de l’apprentissage, d’une adaptation à un environnement qui demande une attention de tout instant. Me voilà ainsi plongé dans un océan de présent, sans un ilot de futur ou de passé en vue. Exactement comme un enfant, où l’horizon temporel, va à peine plus loin qu’un « dodo » ou un « goûter ».

Mon point de comparaison avec l’enfance ne s’arrête pas là. L’expérience du monde, et particulièrement la nature, par l’enfant passe d’abord à travers les sens de l’odorat, du toucher avant même la vision. Le corps est le médium, les sens du toucher, la saveur et l’odorat nous rappelle à notre nature charnelle, notre « incarnation ». Ce dialogue sensuel, avec les éléments d’une nature qui a fait évoluer l’homo sapiens, nous touche au plus profond de nos cellules. Il fait écho avec l’appellation même de notre espèce Sapiens. « Sapientia », sage en latin dérive du verbe « sapere », goûter.

Le philosophe irlandais Richard Kearney appelle ainsi “l’excarnation”, la fin du contact, du toucher à l’ère du techno numérique et de la pandémie covid-19. D’après lui nous accélérons un mouvement entamé il y a près de 2000 ans avec la victoire des platoniciens sur Aristote en hiérarchisant dans la société le sens de la vision, le haut placé proche de l’esprit, au détriment du toucher, considéré comme inférieur, jugé trop familier. Souvent initié par les religions monothéistes, le corps, les besoins charnels, se retrouvent sous classés, bien souvent dans la sphère privée, tandis que Descartes achève la dissociation délétère du corps et de l’esprit.

L’opto-centrisme, d’après Kearney, a de beaux jours devant lui avec suprématie des écrans, de mondes virtuels qui peinent à singer la complexité de notre présence au monde, de notre « incarnation ». « For if incarnation is the image become flesh, excarnation is flesh become image. Incarnation invests flesh; excarnation divests it. » R.Kearney

Et si c’était lui, notre corps, qui prenait sa revanche à travers notre voyage amphibien mi terrestre mi marin ? Le swimrun, un sport d’éléments où le vent, la mer, les racines et les rochers nous incarne de nouveau. Il nous fait retomber en enfance et nous redonne le goût d’être un Sapiens « NatoCurro ».