Compte-rendu de courseCoursesInterview

Pierre Massonneau, la victoire en Ré majeur

« On ne juge pas un homme au nombre de fois qu’il tombe mais au nombre de fois qu’il se relève. » Cette citation de Jigorō Kanō, le fondateur de l’art martial Judo Kodokan, je l’ai vue sur le fil Facebook de Pierre Massonneau suite à sa victoire avec son ami Boris Dessenoix sur le Swimrun de l’île de Ré qui a eu lieu le 26 septembre dernier. Quand un post commence par ce genre de déclaration, il faut s’attendre à ce que le sport serve parfois d’allégorie pour un chemin de vie cabossé. L’année 2020 n’a pas vraiment bien commencé pour nombreux d’entre nous. Pour Pierre, un des tout meilleurs swimrunner français, l’année 2020 a débuté bien plus bas.

Swimrun France : Bonjour Pierre, tout d’abord félicitations pour ta belle victoire sur le Swimrun de l’ile de Ré avec ton amis Boris. Avant d’y revenir, pourrais tu te présenter ?

Boris à gauche, Pierre à droite, crédit photo Marie Carson

Pierre Massonneau : Bonjour Swimrun France, merci pour ton message. J’ai 37 ans, je suis marié, j’ai 3 enfants et je pratique le triathlon depuis l’an 2000 soit tout juste 20 ans. J’ai couru en D1 sur le grand prix FFTRI avec le TCG 79 en 2006, puis je me suis tourné vers le longue distance. depuis 2016, je suis membre du team Argon 18. Dans la vie, je suis professeur des écoles spécialisé, devenu directeur de SEGPA dans un collège à Châtellerault. Et dans le peu de temps qu’il me reste, je suis également entraîneur du club de triathlon Les Lions châtelleraudais (adultes et école de tri:130 adhérents).  

Pour moi, c’était avant tout un moment de partage avec un ami, dans un lieu qu’on affectionnait. Et nous avons remporté la course.

SRF : Le swimrun est un sport qui se court à l’origine en binôme, avec d’autres valeurs bien spécifiques. Qu’est ce qui t’a attiré dans ce sport ?  

PM : J’ai vu ce fameux documentaire intérieur sport sur le swimrun [NDLR, les exilés, ÖtillÖ world championship 2015, Stockholm] qui m’a fait vibrer. Je me suis dit que je voulais faire cette course. L’idée a germé et j’ai fait mon premier swimrun en 2017 sur le swimrun côte de beauté à Royan. C’était en fin de saison, ça faisait un weekend sympa en famille, et je le faisais avec un de mes meilleurs amis. On y allait donc pour s’amuser, vraiment. Je ne ressentais aucune pression dans l’avant course et au départ, comme je peux le ressentir sur un triathlon. Pour moi, c’était avant tout un moment de partage avec un ami, dans un lieu qu’on affectionnait. Et nous avons remporté la course.
Après réflexion, je me suis dit que j’avais pris un max de plaisir, que ma famille avait adoré nous suivre, et que je n’avais ressenti aucune pression. Aussi, il y a un réel sentiment d’aventure, car nous évoluons dans un milieu beaucoup moins formaté, avec des terrains parfois compliqués ou changeants. Nous oublions toute la théorie chiffrée , travaillée à l’entraînement pour se fier à son instinct, ses sensations. Et surtout, nous devant rester à l’écoute de l’autre. Nous partageons réellement. Le swimrun est un sport collectif.

SRF : Le swimrun de l’ile de Ré marque peut être la fin d’une saison sportive très particulière pour toi et pour nous tous. Peux tu nous dire comment s’est déroulée cette période de pandémie pour toi ?

PM : Le swimrun de l’île de Ré sur format L (6km nat / 33km CAP) ne sera, je l’espère, pas le dernier swimrun de notre saison. Nous irons finir 2020 soit, à Cannes pour valider notre qualification 2021 à la finale ÖtillÖ ou St Nazaire selon les disponibilités de chacun, mais nous ne voulons pas finir notre saison sur la course de championnats de France de St Lunaire où je suis passé complètement à côté de ma course (malade, je n’ai jamais été dans le coup). Nous devons nous racheter! Ça fait sans doute beaucoup de courses en peu de temps mais je veux profiter un maximum.

J’avais la condition physique d’un escargot asthmatique et le mental d’une chips.

Cet hiver (fin novembre 2019), j’ai bien cru que je ne pourrai jamais refaire de sport… J’ai été hospitalisé à 3 reprises, j’ai perdu la vue au niveau de l’œil droit, et j’avais de la fièvre de manière inexpliquée. Pendant 9 semaines, j’étais alité. J’ai fait une névrite optique. Je suis surveillé de très près car les médecins m’ont prévenu que ça pouvait être le point d’entrée d’une sclérose en plaques. Le mot a été lâché, et ça fait très très peur…

À coup d’échanges plasmatiques, 3 fois par semaine, petit à petit, j’ai réussi à récupérer un peu d’acuité visuelle, mais seulement au repos. Et désormais, à l’effort, ma vue se coupe complètement. Je dois donc composer avec un seul œil et je n’ai pas la vision en relief. Mon binôme doit donc gérer tout cela en course et nous sommes en grosse difficulté sur des parcours très techniques. Je suis sorti de l’hôpital fin janvier. J’avais la condition physique d’un escargot asthmatique et le mental d’une chips.

Chaque course, je pense à lui et je me bats pour deux à chaque fois.

Pendant deux mois, ça a été très très difficile. Chaque séance me rappelait combien j’étais en difficulté, mais en même temps, je me répétais de profiter un maximum et me rappeler la chance de pouvoir faire du sport. J’ai également perdu mon binôme de la saison 2018, Steve qui a fait une crise cardiaque. Chaque course, je pense à lui et je me bats pour deux à chaque fois. Le confinement m’a permis de prendre le temps de bien faire les choses, et début juillet, je pense avoir retrouvé la forme. Et désormais, mentalement, je pense être indestructible, et sur les swimruns (ça compte beaucoup).

Tant que je pourrai me battre, je le ferai. Et je compte bien en profiter encore longtemps. Mes proches, mon club, le team Argon18, Fabien mon binôme de swimrun depuis 2019 ont également été de précieux soutiens. Je mesure la chance que j’ai et je savoure énormément chaque course terminée et chaque podium glané.  

SRF : Un petit mot sur ta saison sur le circuit ÖtillÖ avec Fabien [NDLR, voir la rétrospective des 15 ans d’ÖtillÖ]? Car il ne faut pas se leurrer, vous avez un excellent niveau !

Là, franchement, je me suis dit qu’il fallait rester humble, que le swimrun est un sport à part entière,

PM : Cette année, nous devions participer à la finale ÖtillÖ en Suède sur invitation de Michael Lemmel. Suite à l’annulation, sur un coup de tête, nous avons décidé de participer à notre première manche ÖtillÖ, à l’Engadin en Suisse.

Une première expérience pour nous, qui plus est, sans préparation spécifique car nous pensions faire une saison de triathlon :-). L’objectif était de prendre de l’expérience, observer les meilleurs, et surtout terminer la course.

Nous avons été en très grosse difficulté dans la première longue descente, où nous avons perdu 4’30 sur les équipes de tête et nous pointions à la 11e place au bout d’1h de course. Là, franchement, je me suis dit qu’il fallait rester humble, que le swimrun est un sport à part entière, et qu’il fallait oublier nos repères de triathlètes.

Nous avons été patients, fidèles à notre plan de marche (faire notre course avant de faire La course avec les autres) et petit à petit, nous sommes remontés à la 3e place, en doublant la paire Anthony Coste / Thomas Navarro au bout de 3h de course. Je peux vous dire que ça fait quelque chose quand même… Bon ils nous ont redoublés au bout de 30′.

À la sortie de la dernière natation, nous étions 3e, à 1’45 de la tête, mais la descente technique de l’avant dernière section course à pied nous a, à nouveau été fatale (5′ de perdues). Nous finissons 3e, et pour nous, c’était déjà exceptionnel. Bien sur, sans l’abandon des grands favoris du team ARK, nous aurions sans doute terminé 4e. Mais ce jour là, les planètes se sont bien alignées et nous avons pu offrir un premier podium 100% français sur une manche ÖtillÖ pour notre première expérience. Avec du travail, de l’expérience, je pense que nous pouvons encore progresser. C’est en tous les cas très motivant.  

SRF :  Pourquoi avoir choisi ensuite le Swimrun de l’ile de Ré ?  

cette année, je savais qu’il y avait un très gros niveau sur cette course

PM : Comme je l’ai dit, c’est vendeur au niveau familial de passer un we à l’île de Ré. Puis c’est tout près de chez moi, j’ai plein de copains qui y vont. C’était l’occasion de faire cette course avec mon ancien coéquipier du TCG 79, Boris Dessenoix. Nous courions ensemble sur le grand prix FFTRI il y a 15 ans. Une autre époque, assurément.

De plus, cette année, je savais qu’il y avait un très gros niveau sur cette course. Donc c’est assez excitant sportivement: Valentin Rouvier, champion de France élite LD, Casimir Moine qui réalise des top 30 sur les grand prix de D1 FFtri, la team NJ swimrun, vice championne de France cette année, Thomas Guerry et Pierre Dauguet. Bref, il y avait 5 grosses équipes au départ et nous avons réussi à les laisser derrière nous.  

SRF : “Il n’y a point de chemin vers le bonheur. Le bonheur, c’est le chemin”. Lao Tseu. Était ce le bonheur pour vous tout du long, ou une concentration de tous les instants afin de remporter la victoire ?

PM : Nous avions pu nous entraîner une fois ensemble avant la course. Avec Boris, on se connait depuis 18 ans, et on s’est dit les choses dès le départ. On s’est adapté à l’autre tout le temps. Nous sommes restés calmes presque tout le temps (sauf dans l’eau où on ne voyait pas toujours les bouées). Il s’est passé tellement de choses en 40 km…

Le swimrun est un sport résolument tactique.

La météo était maussade donc dire que nous avons profité du paysage serait un mensonge. En revanche, on a pris notre pied à pouvoir mettre en place la stratégie, la théorie envisagée avant la course (celle qui ne fonctionne jamais) et ça, c’est grisant quand ça marche. Le swimrun est un sport résolument tactique.

Avant les 5 derniers kilomètres pédestres, on nous a annoncés 7′ d’avance. Sur ce dernier 5000, moi, j’ai énormément profité. On a discuté, on a exulté, on a encouragé les autres concurrents que nous doublions de l’épreuve M.
Pour la petite anecdote, il nous est quand même arrivé quelques bricoles: un stand up paddle et sa pratiquante qui nous tombe dessus, la perte de deux plaquettes dans la course (nous avons fini avec une plaquette chacun). 

Il faut communiquer, communiquer, se parler.

SRF :  Boris et toi avez dû composer avec ta (perte) vue, quelle stratégie avez vous mis en place pour la course ?  

PM : Il connaissait mon problème. Le parcours étant très rapide et très peu technique, nous avons fait très attention dans les virages et les quelques passages techniques. Il me prévenait. Pour la natation, il a guidé tout le temps. Il faut communiquer, communiquer, se parler.  

SRF : Quelles images se sont bousculées dans ta tête au moment de franchir la ligne d’arrivée ?  

PM : D’abord bizarrement, j’étais soulagé pour Boris. Car dans le binôme, c’est lui le costaud, et nous avons réussi à gagner cette course. Ensuite, beaucoup de fierté, désolé hein, mais devancer des athlètes comme Valentin Rouvier, ça n’arrive pas souvent. Et puis voir mes enfants, ma femme, mes parents, mes amis de club sur la ligne avec le sourire, eux qui nous ont supportés sous la pluie pendant plus de 3h, ça fait plaisir.
Quelques minutes après, c’est plutôt un sentiment d’accomplissement, après les galères hivernales. Et puis le lendemain, on pense déjà à la suite!!!!!!!!!!  

SRF : Quelle va être la suite de la saison justement ?  

PM : Comme je te l’ai dit, je dois une revanche à Fabien sur un swimrun. J’ai été nul aux championnats de France, et au delà du résultat, je veux que nous puissions refaire une course pleine avant la saison suivante. Pour le reste, nous sommes dépendants de la situation sanitaire. J’aimerai pouvoir participer au marathon de La Rochelle.  

si le swimrun se développe énormément, c’est que ceux qui y ont goûtés, y reviennent tous.

SRF : Aurais tu quelques conseils à donner à ceux et celles qui voudraient se mettre au swimrun, mais qui n’osent pas par crainte des éléments naturels, du « je ne trouverai jamais d’équipier à mon niveau » ?  

PM : Tout dépend des aspirations de chacun. Je ne conçois le swimrun qu’en équipe. Par conséquent, c’est du partage avant tout. Il faut avoir la fibre collective et savoir se mettre au diapason. Pour réussir son swimrun, il faut avant tout vouloir passer un bon moment. Si vous savez nager, courir, et que vous avez une personne avec qui le partager, ça reste un moment incroyable. Et si le swimrun se développe énormément, c’est que ceux qui y ont goûtés, y reviennent tous.  

SRF : Quels sont les partenaires qui te soutiennent cette saison ?  

PM : Nous n’avons aucun partenaire swimrun… Nous faisons partis du Team Argon 18 France en triathlon (et bénéficions d’un soutien matériel important en triathlon). Mais pour le swimrun, nous nous débrouillons seuls, en finançant notre matériel et nos inscriptions. Cette année, nous avons terminé 3e à l’Engadin en Suisse, 3e aux Championnats de France, et victorieux à l’île de Ré. Si certains veulent nous aider…

👉 Le site du swimrun de l’ile de Ré, les résultats du swimrun de l’ile de Ré 2020

  1. DESSENOIX/MASSONNEAU Boris/pierre
  2. ROUVIER/MIGNE Valentin/vincent
  3. DAUGUET/GUERRY Pierre/thomas
  • AMAND/MONDEJAR Romain/gaëlle
  • PETIT/ANGIBAUD Christophe/andrey
  • MAGNE/CUTILLAS Fabrice/diane
  • KERJOSE/SCOUARNEC Gaëlle/sandrine
  • PAOLETTI/MARAVAL Julie/lea
  • SERRIL/CHAZALY Nadege/claire

👉 La Team Argon 18 France

👉 L’instagram de Pierre